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Comme vous avez pu le constater dans les quatre premières étapes de ce récit, l’agriculture telle qu’on la connaissait jusqu’aux années 1990 a été sévèrement attaquée, critiquée. L’une des critiques les plus récurrentes et les plus sévères concernait l’incapacité de la science à prendre en compte, à connaître le sol. Vous avez aussi appris qu’un sol nouveau avait fait son apparition dans les milieux agricoles puis qu’il avait été construit comme sujet de préoccupation dans l’ensemble de la société.

 

 

 

Cette carte représente les 100 termes les plus représentés dans les articles sur la science des sols. Le corpus d’articles utilisé pour produire cette carte regroupe les 30765 articles qui répondent à la requête "soil* microbiology" OR "soil* biology" OR "soil* science" au sein d’une base de données scientifiques de référence appelée Scopus. On est donc sur une carte qui analyse la production scientifique directement concentrée sur le sol et ses dynamiques biologiques.

 

Les termes qui apparaissent sont ceux qui sont les plus présents dans tous ces articles, ils représentent donc les sujets qui occupent en priorité les scientifiques dans leurs publications.

 

Dans un premier temps, il  faut bien sûr s’attarder sur les termes représentés, afin d’avoir une compréhension générale des sujets importants dans les recherches sur ce thème. Les points les plus gros représentent très logiquement les termes qui sont les plus récurrents dans ces articles, donc ceux qui occupent le plus les chercheurs.

 

 

Cette conclusion pourrait paraître limitée puisque le sol est tout de même représenté dans la première carte avec un nœud de cluster dédié... Mais tout l’intérêt de cette carte consiste en une comparaison avec cette deuxième, à lire exactement de la même manière.

 

Ce qui différencie ces deux cartes, c’est le corpus d’articles qu’elles représentent. Cette carte compile les articles répondant aux requêtes qui s’intéressent aux modèles alternatifs d’agriculture introduits dans les étapes précédentes du récit. C’est-à-dire que le corpus rassemble tous les articles qui traitent de les sujets suivants :

 

 

 

  • le semis-direct ("no tillage" OR "zero tillage" OR "non tillage" OR "no-tillage" OR "no-till" OR "no till" OR "conservation agriculture" OR “direct planting”)
     
  • l’agroforesterie (“agroforestry”)
     
  • l’agriculture biologique (“organic farming” or “organic agriculture”)
     
  • les modèles d’agriculture durables moins définis ("sustainable agriculture" OR "agroecology" OR "ecologically intensive" )
 

 

Il s’agit d’un corpus volumineux et représentatif car il compte 23 261 articles issus de la même base de données scientifique, Scopus. Nous avons donc un corpus qui ne s’intéresse pas directement au sol mais à des modèles agricoles en général.


Maintenant que votre œil est entraîné à déceler quels sont les sujets qui émergent à travers les recherches des scientifiques, vous n’aurez pas de mal à constater que le sol apparait ici comme enjeu majeur.

On s’en rend compte ne serait-ce qu’au survol des mots clés représentés ici. Beaucoup plus sont en lien direct avec le sol comme support d’agriculture et les pratiques agricoles (soil erosion, tillage…). D’une manière générale, le sol et le travail qu’on en fait sont beaucoup plus représentés dans les champs lexicaux que pour la première carte.

 

Mais ce qui est frappant et encore plus significatif pour nous, c’est la disposition de ces termes et la présence de 3 nœuds de cluster entièrement dédiés au sol. Nous avons vu plus haut que ces nœuds de cluster font sens car ils représentent la présence de sujets définis et construits qui occupent les scientifiques. Sur huit nœuds de cluster, trois sont entièrement dédiés au sol :

Cette carte est frappante car elle montre que la science a récemment commencé à s’intéresser au sol comme élément faisant pleinement partie de systèmes agricoles. Mais elle ne l’a pas fait dans le cadre de la recherche formelle sur le sol.

 

C’est bel et bien à travers le développement de la recherche sur les modèles agricoles alternatifs qu’une science des sols nouvelle est née, apparemment plus en phase avec les réalités de l’agriculture. 

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Carte 2 : Le sol au coeur des modèles agricoles alternatifs

Carte 1 : L'agriculture peu présente dans la science du sol

L’émergence inattendue du sol dans les publications scientifiques

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Un sol nouveau dans la science

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Un éclairage particulier nous permet d’illustrer de manière plus formelle encore cette apparition d’un “sol nouveau” à travers le développement des modèles agricoles alternatifs. Il s’agit de l’approche par la scientométrie, ou l’étude des publications scientifiques sur un sujet donné. En s’intéressant aux évolutions du nombre de textes publiés, aux termes récurrents dans les résumés d’articles, aux auteurs impliqués, on peut en apprendre beaucoup sur un sujet, et sur le traitement qui en est fait par la science.

 

Nous vous proposons ici deux cartes qui relèvent de cette discipline et qui permettront aux plus motivés d’entre vous d’en savoir plus sur la manière dont le sol a pu exister dans la recherche et la manière dont le développement des connaissance sur les modèles agricoles alternatifs décrits précédemment a abouti à une science des sols renouvelée et plus en lien avec la pratique des agriculteurs.

 

 

Pour cette carte, nous avons un résultat intéressant car très représentatif des critiques qui ont été adressées à la science et à sa position par rapport à l’agriculture dès les années 1990. On se rend compte que le sol en tant que support agricole ne représente qu’une toute petite partie de l’intérêt des chercheurs qui font de la science du sol !

 

 

Mais il faut être attentif à la manière dont sont disposés ces termes.

 

Des termes proches les uns des autres et reliés par des liens fréquents et épais ont tendance à être utilisés dans les mêmes articles, à être souvent évoqués ensemble. Les ronds de couleur, qui regroupent des groupes de termes très proches les uns des autres s’appellent des nœuds de cluster, ils permettent de représenter de manière plus frappante encore à quel point des termes sont liés les uns aux autres, à quel point ils sont cités ensemble.

 

Quand des termes se regroupent au sein d’un nœud de cluster, cela veut dire qu’ils forment une unité thématique, un sujet de recherche récurrent donc significatif.

 

Bien comprendre ces nœuds de cluster, c’est voir quels sont les sujets de préoccupation qui émergent des recherches sur un thème et finalement isoler ce qui intéresse très précisément les chercheurs. Ils  permettent d’aller au-delà de la simple étude du champ lexical.

 

 

En effet, la plupart des termes représentés sur cette carte sont très techniques : beaucoup de noms de bactéries, d’éléments chimiques (pseudomonasphylogenetic analysis…). De plus, le sol comme support d’agriculture n’est représenté formellement qu’au sein d’un petit nœud de cluster (le bleu en haut qui s’intéresse directement au sol et à ses caractéristiques concrètes : soil moisturesoil quality…).

 

Ce résultat est très surprenant car le sol est au cœur de la requête qui a formé ce corpus mais il n’est pas bien représenté que ce soit en termes de champ lexical ou d’organisation. On peut en conclure que curieusement la science des sols en tant que telle est une science assez séparée du sol dans les enjeux agricoles réels.

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L’un représente la relation entre le sol et l’eau donc toutes les interrogations sur l’infiltration, l’érosion…

Cette omniprésence du sol et son organisation en nœuds de clusters très définis donc en sujets d’intérêt constants dans les travaux des scientifiques est révélatrice à plus d’un égard :

 

 

Un autre cluster s’intéresse exclusivement aux propriétés physiques du sol.

 

Le troisième nœud est dédié à l’activité biologique et à la vie dans le sol.

Et l’on peut même mentionner un quatrième nœud dont les termes ne font pas directement mention du sol mais dont le sujet est les différentes techniques de labour donc la manière dont est appréhendé le sol de manière très concrète.

Le sol est très représenté dans les recherches très récentes sur les modèles agricoles alternatifs. On peut en déduire qu’il est un enjeu majeur dans le développement de ces modèles, en tous cas qu’il occupe énormément les chercheurs qui s’y intéressent.

 

Il faut bien comprendre qu’une telle présence du sol dans la seconde carte est très surprenante car il est totalement absent des requêtes qui ont amené à la composition du corpus qu’elle représente (sa présence est certes implicite : “till”, “no-till”... mais le sol n’est pas présent en tant que mot dans la requête) ! Alors qu’il était au centre de la requête pour la première carte. Il s’impose comme sujet central et structurant des recherches dans un domaine où sa présence était loin d’être évidente.


Le sol est infiniment plus représenté (les termes du champ lexical du sol sont beaucoup plus nombreux) et mieux représenté (de par les trois ou quatre nœuds de cluster qu’il mobilise, il s’érige en plusieurs sujets d’intérêt très structurés) dans la seconde carte que dans la première. Cette différence de représentation illustre en fait assez bien les reproches qui ont pu être faits à la science d’être coupée du monde réel de l’agriculture.

 

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