12 /

Les concepts à succès
 

 

Comme vous venez de le voir, l'agriculture conventionnelle est souvent définie comme étant LE modèle dont il faut se défaire à tout prix. C'est toujours en opposition à ce modèle qu'entrent en jeux des modèles plus récents comme l'agriculture raisonnée, l'écologiquement intensif ou l'agro-écologie. Nous allons voir sur quel principes ces modèles se distinguent de l'agriculture traditionnelle à la fois en terme de techniques mais surtout d'identité. Nous verrons également comment certains de ces concepts peuvent être jugés comme étant problématiques par certains acteurs.  

 

A côté de l'agriculture de conservation ou de l'agriculture biologique des modèles alternatifs mais moins définis apparaissent.

Cet oxymore est avant tout le moyen efficace de répondre aux nombreuses critiques de baisse de rendement faites aux autres modèles agricoles alternatifs. Ce terme s'inscrit bien dans un débat conscient des exigences environnementales nouvelles mais qui garde l'espoir de nourrir une population mondiale toujours croissante.

>

L'agriculture raisonnée s'inscrit dans un discours environnemental à travers la rupture de l'usage systématique des intrants de synthèses sur les cultures. Sans pour autant les interdire, le raisonné recommande une utilisation "homéopathique" des intrants. Baptiste Billot, qui pratique une telle agriculture nous en parle.

L'agriculture raisonnée

L'agriculture raisonnée valorise une approche très pragmatique des sols. Elle est une agriculture qui reste très consciente des pressions économiques qui s'exercent sur l'agriculteur. Elle ne s'organise pas autour de pratiques bien définies comme le semis direct autour du non-labour et en cela elle ne crée pas une identité très forte chez l'agriculteur. Ses détracteurs (comme certains de ses membres) affirment que "tout le monde est en agriculture raisonnée" : les engrais et les pesticides, le labour sont des postes de coût importants chez les agriculteurs et leur utilisation en cas de nécessité seulement est pertinente d'un point de vue économique. C'est ainsi qu'il est possible d'allier un besoin économique en répondant à des principes écologiques personnels. Pour Baptiste Billot, l'utilisation des "médicaments" lui permet tout simplement de ne pas perdre sa récolte en cas de maladie par exemple. Un tel risque n'est tout simplement pas envisageable pour beaucoup d'agriculteurs.  


La limite de l'agriculture raisonnée, c'est que cette adaptation des pratiques n'est que très peu reconnue et pas valorisée lors de la mise en vente. Seuls des initiés sont sensibles à cette appellation. Au niveau de la prise en compte du sol, l'agriculture raisonnée recouvrant des réalités très différentes, elle n'a pas abouti à la construction d'un sol particulier, on le retrouve surtout comme un élément auquel il faut accorder plus d'attention et de soin "dans la mesure du possible".

L'écologiquement intensif, un concept polémique qui représente du "pain bénit" car les mises en invisibilité y sont facilitées

L'un des autres termes que l'on rencontre fréquemment pour désigner des agricultures alternatives est celui d'agriculture dite "écologiquement intensive". Ce terme, que l'on retrouve régulièrement dans les débats est très souvent critiqué comme vous le verrez dans les témoignages de Daniel Nahon et de Claude Compagnone.

 

On reproche surtout à cette expression de ne recouvrir aucune réalité et de venir s'intégrer à un vocabulaire politique et opportuniste. On reproche aussi à cet oxymore d'associer dans un concept faussement profond deux attitudes opposées et incompatibles, soit le rassemblement flou de l'agriculture intensive (donc productive) et d'impératifs écologiques. Quand on sait à quel point l'irruption du débat écologique a déstabilisé l'agriculture dite intensive, on peut en effet se poser des questions sur la pertinence de cette expression.

Le flou de ce terme, qui attire ces critiques fait aussi son succès. En effet, parce qu'il ne recouvre aucune réalité concrète et qu'il incarne un paradoxe au coeur des préoccupations, il permet de justifier des pratiques complexes. Prenons l'exemple de l'agriculture de conservation, qui développe un discours environnemental mais qui se voit obligée de continuer à utiliser du glyphosate. Comme nous avons pu le voir précédemment, l'utilisation de ces intrants de synthèse doit être solidement argumentée voire mise en invisibilité. Mais si la mise en invisibilité est nécessaire, c'est parce que le discours dont se réclame l'agriculture de conservation est écologique. A partir du moment où celui-ci devient écologiquement intensif, la mise en invisibilité est moins nécessaire. On peut assumer plus facilement l'usage du glyphosate car celui-ci vient s'inscrire dans la valorisation d'un processus biologique. On arrive à une agriculture qui arrive à "plus de nature dans le sol" grâce à l'utilisation de produits très symboliques de l'agriculture de synthèse.

 

La facilitation argumentative que permet l'agriculture écologiquement intensive promet un grand avenir à ce concept.

 

Un dernier exemple de ces modèles alternatifs mais moins définis est sans doute le plus médiatisé. Il s'agit de l'agroécologie. Des entrepreneurs de mobilisation comme Pierre Rahbi, Marie-Monique Robin avec leurs films "Au nom de la Terre" ou "Les moissons du futur" sont à l'origine du succès de ce concept. Ils y présentent des témoignages d'agriculture alternative dans de petites et moyennes exploitations à travers le monde. L'agroécologie vantée par ces acteurs est une agriculture qui veut redonner une place à tous les paysans, revaloriser le rôle des agriculteurs et produire de manière durable. En terme de sol, celui-ci est présent dans une argumentation très générale qui prône le retour d'une agriculture "douce", attachée au respect des écosystèmes locaux et à l'indépendance des travailleurs.

 

L'agroécologie est d'ailleurs mise à l'honneur dans le programme du ministère de l'agriculture Produisons Autrement. Pour Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, il s'agit d'un "modèle agricole plus respectueux de l'environnement, plus en phase avec les attentes de la société. Ce nouveau modèle, où l'agronomie doit retrouver tout son sens, permettra aussi de renforcer la performance des agriculteurs".  Mettant en scène des agriculteurs, éleveurs et producteurs de toute la France, cette initiative a pour but de diffuser en France les différentes illustrations de ce que pourrait être l'agro-écologie. On retrouve dans les propos de M. Le Foll ce qui a fait le développement des modèles alternatifs en général, notamment une accusation sous-entendue d'un "oubli de l'agronomie".

L'agroécologie

Vous l'aurez compris, une pléthore d'appellation a surgi dans le "combat environnemental".

 

Leur sens et les réalités qu'elles recouvrent ne sont souvent pas explicites. Le succès de ces "modèles" est souvent du à des tournures heureuses ou au travail médiatique de lanceurs d'alertes pertinents. Toujours est-il que le dyamisme qui existe autour de ces modèles, de la tentative de leurs définitions est intéressant car il est représentatif de la vigueur de la lutte environnementale. Alors que tous les agriculteurs ne peuvent s'intégrer à des modèles trés définis comme l'agriculture biologique ou de conservation et que l'identité d'agriculteur conventionnel est aussi inexistante qu'intenable, il est normal que des modèles et des sentiments d'appartenance plus "doux" apparaissent.

>

Du point de vue du sol, il est intéressant de constater que ces modèles n'étant pas construit autour de pratiques structurantes, ils ne concourent pas à la construction d'un sol particulier et ciment d'identité mais en font plus un élément général qui doit être "mieux respecté" dans la recherche d'une légitimité environnementale très générale.

>

pas de scroll