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L'arrivée du sol dans l'agriculture...

A ce point du récit, vous avez vu que des modèles agricoles alternatifs avaient été développés pour répondre aux critiques faites à une agriculture en crise. Vous avez déjà une connaissance partielle de ces modèles.


Nous allons voir ici que leur développement et les critiques générales faites à l'agriculture contre laquelle ces modèles se construisent ont aussi marqué l'arrivée d'un acteur nouveau dans les préoccupations des agriculteurs : le sol.

 

De cette critique découle la revendication d'une utilisation nouvelle du sol. Puisque l'agriculture contre laquelle on se construit n'y faisait pas attention, mettre en avant la valorisation que l'on fait de son sol devient un moyen de marquer son opposition, d'affirmer ses pratiques, ses attitudes nouvelles.

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Le développement de ces nouveaux modèles marque l'arrivée d'une vision et d'un discours nouveau sur le sol chez les agriculteurs.

La dénonciation d'un sol bafoué

Cette affirmation vous semblera paradoxale car quoi de plus en lien avec l'agriculture que le sol, qui est le support sur lequel pousse toute culture, l'interface entre un agriculteur et sa terre ? Si l'on peut parler d'une "arrivée du sol", ce n'est en fait pas parce qu'on on ne travaillait pas avec lui auparavant mais parce que la réflexion nouvelle que connaissent de nombreux agriculteurs en amène une nouvelle vision. Une plus grande importance lui est prêtée.


Dans un premier temps, cette prise en compte nouvelle et accrue du sol s'intègre aux critiques faites à l'agriculture industrielle. La connaissance de ses sols devient pour les agriculteurs un moyen de montrer comment se construire en opposition avec cette  agriculture. On s'ingénie à dénoncer le fait que le sol n'était pas pris en compte.

 

Daniel Nahon synthétise bien ici les critiques que l'on adresse à l'agriculture industrielle concernant son rapport au sol. On dénonce le manque d'attention qui était prêté à son fonctionnement, aux potentielles dynamiques de productivité qu'il renferme...

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Les discours réaffirment son importance et l'enjeu qu'il peut représenter en invoquant des phénomènes comme le "Dust Bowl" par exemple, cette catastrophe environnementale qui noya les Grandes Plaines américaines sous des tempêtes de poussière pendant les années 1920 et qui était du au sur-labour de sols sensibles. L'utilisation de tels symboles permet de réaffirmer l'enjeu contenu dans le sol : celui-ci n'est pas qu'un substrat, il est au centre d'interactions compliquées et un mauvais traitement peut aboutir à des conséquences très fâcheuses.

 

L'arrivée d'un sol complexe à intégrer à l'agriculture

De ce phénomène découle donc une véritable "arrivée du sol" dans l'agriculture. On commence à parler de sa complexité, on déplore le peu de connaissance qui sont produites à son sujet.

 

Jérôme Vaujour, professeur d'agronomie au lycée agricole d'Yssingeaux, en Haute-Loire vient confirmer ce changement. Pour lui, le sol est l'élément de culture avec lequel les élèves ont le plus de mal, il est bien moins appréhendé que l'eau ou l'environnement, les deux autres piliers de son cours de "Sciences et Techniques Agronomiques". M. Vaujour est sensibilisé à cette arrivée nouvelle du sol et affirme que petit à petit l'enseignement agricole y accorde une importance accrue. Cette évolution est extrêmement lente mais voit notamment apparaître un plus grand crédit aux interactions, aux symbioses qui peuvent exister entre le sol et les plantes... Cependant, la complexité du sujet freine la sensibilisation des élèves.

Il est vrai que l'affirmation de la complexité du sol est au coeur de l'arrivée du sol dans le discours des agriculteurs.

 

On parle de plus en plus de la nécessité de le connaître, de connaîtres les dynamiques qu'il renferme pour pouvoir les intégrer à une production agricole durable. On se fait notamment une obligation de prendre connaissance de la vie qui agite les sols (vers de terre, acariens...) et d'affirmer qu'elle a un grand rôle à jouer dans une agriculture respectueuse de l'environnement...

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Ce qu'il vous faut comprendre, c'est que tous les organismes, les complexités du sol dont parlent ces acteurs ont toujours été là, ils ne sont pas arrivés au début des années 2000 ! Si le développement de modèles agricoles aboutit à une arrivée d'un sol nouveau dans l'agriculture c'est parce que celui-ci est en fait revendiqué d'une manière toute nouvelle :

 

Dans une logique d'accusation de l'agriculture contre laquelle on se construit et qui ne revendiquait pas du tout une connaissance et une utilisation du sol, on utilise sa prise en compte comme vecteur de différence et d'identité.

 

Dans une logique de rebâtir cette identité, la connaissance du sol, l'affirmation de sa complexité deviennent les bases de discours qui montrent que l'on est décidé à mettre en place une agriculture nouvelle, qui accorde plus d'attention à son environnement. Et l'un des moyens d'atteindre ce but, c'est de connaître et intégrer le sol.

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