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L'innovation par les usagers
 

 

A ce point du récit, vous savez que la relation entre science et agriculture est difficile et que ces deux mondes produisent des savoirs et nourissent des attentes profondément divergents.

 

Les agriculteurs, dans la recherche de nouvelles pratiques se voient privés d’une science qui ne peut répondre à leurs attentes. Vous allez découvrir ici que ceux-ci n’ont pas attendu les récents changements précédemment évoqués pour développer des savoir faire, des techniques qui leur permettaient de résoudre les contradictions qu’ils connaissaient. Ce constat nous amènera à une réflexion plus large sur la manière dont les innovations se font en agriculture.

 

Le développement des modèles agricoles alternatifs se trouve à des lieues d’une vision moderniste de la science qui inventerait et diffuserait de sa position surélevée des innovations auxquelles les agriculteurs se conformeraient. Notre enquête nous a montré que l’agriculture est une affaire d’agriculteurs.

 

Les innovations paysannes, la création de savoir-faire

La manière dont les objets techniques nécessaires aux pratiques nouvelles sont mis au point est très représentative de cette tendance à l’innovation par les usagers. Les acteurs engagés dans les entreprises nécessaires aux agriculteurs (produits phytosanitaires, semoirs et machines agricoles) sont catégoriques : Les innovations utilisées dans les modèles agricoles alternatifs ne sont jamais venues d’en haut, elles sont développées hors des institutions, dans une dynamique "hors-cadre".

 

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Une illustration nous en est donnée par Jacques Burel, dirigeant de l'entreprise Sulky. Cette entreprise propose du matériel agricole depuis 1936 et la manière dont les machines sont mises au point est totalement interne à l'entreprise, aucune collaboration avec des instituts techniques ou organisations de recherche. L'accent est mis sur l'écoute des agriculteurs et un gros travail de terrain est fait avec tout un réseau de concessionnaires et de représentants qui font l'intermédiaire entre l'entreprise et les agriculteurs.

 

Jacques Burel a suivi le développement des techniques sans labour, l'a accompagné par la mise au point de semoirs adaptés à la réduction du travail du sol. Ces machines inhabituelles sont selon lui le résultat direct des revendications des agriculteurs. Sulky est une entreprise qui est à l'écoute des impératifs de terrain exprimés par les agriculteurs. Elle met au point les produits qui répondent le mieux possible à leurs exigences.

 

Cette attitude est représentative de la manière dont se sont développés les modèles alternatifs, notamment l'agriculture de conservation qui avait besoin de la mise au point d'objets techniques très avancés et particuliers à ses pratiques. Ici, les machines adaptées n'ont pas été imposées, ne sont pas venues "du haut", elles ont été le fruit de la collaboration d'agriculteurs sur le terrain et d'entreprises particulièrement à l'écoute. On est typiquement dans une forme très aboutie et efficace d'une innovation par l'usager en ce qu'elle répond à des besoins directement exprimés et pris en compte.

 

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Ce mode d'innovation est certes une réponse à la difficile relation avec la science mais il vient aussi apporter un début de solution aux difficultés amenées par l'aléa local ["13 / La réalité au delà du discours"]. Des objets techniques qui sont le résultat des préoccupations d'agriculteurs et qui se développent en écho avec la réalité du terrain ont plus de chances d'êtres solidement installés que des processus mis au point dans les laboratoires confinés de la science.

 

L'observation attentive des sols : l'importance du visuel dans la connaissance des agriculteurs

Cette logique d'innovation par le bas entraîne de facto une revalorisation du rôle de l'agriculteur. Un agriculteur qui "subirait" les innovations de la science ne peut que difficilement valoriser son travail, il devient l'applicant de trouvailles externes à son effort. De telles attitudes se retrouvent d'ailleurs au centre des critiques adressées à l'agro-industrie contre laquelle se construisent les modèles qui nous intéressent. La manière dont se font les innovations, en donnant un rôle à l'agriculteur dans leur établissement s'accompagne d'une revalorisation de son expertise, de son savoir faire.

 

Cette revalorisation s'exprime par l'affirmation de l'importance du visuel, de l'expertise de terrain de l'agriculteur. Le sol se trouve au centre de cette revalorisation.

 

Du substrat si souvent dénoncé, il devient un élément que l'acteur va observer, apprendre à connaître à travers un contact direct.

 

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Cette revalorisation du rôle de l'agriculteur à travers la reconnaissance de son savoir local, de l'expertise qu'il peut avoir de son sol est importante à intégrer à notre réflexion sur le sol et la manière dont se font les innovations dans des modèles alternatifs qui accordent une plus grande place au sol. Il faut bien comprendre que cette logique d'innovation originale et la reconnaissance de l'efficacité de ces innovations viennent résoudre plusieurs problèmes :

 

  • L'absence de collaboration efficace avec la recherche. Le développement de modèles alternatifs nécessite de fait des savoir faire, des objets techniques nouveaux. Nous avons vu que ceux-ci ne pouvaient que difficilement être proposés par une collaboration avec la science. Ces objets apparaissent donc être le fruit de la collaboration hors du cadre institutionnel de différents acteurs engagés, des agriculteurs aux entreprises.
     
  • Ces innovations, si elles s'avèrent être solides permettent le développement de modèles qui vont venir résoudre en partie les problèmes rencontrés par les agriculteurs. La question identitaire est elle aussi largement résolue par cette forme d'innovation car elle donne un rôle actif et nouveau aux agriculteurs, loin de celui d'applicants de la science et de l'industrie qui leur était prêté dans l'agriculture intensive. C'est ce rôle revalorisé qui s'exprime dans l'affirmation de l'importance du visuel.

 

Maintenant que vous connaissez la manière dont les savoirs sont produits au sein de stratégies innovantes mises en place par les agriculteurs, vous êtes prêts à découvrir comment ces savoirs d'un genre particulier sont diffusés et contribuent à renforcer les identités nouvelles.

 

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