pas de scroll
1 /
La crise agricole

Pour commencer ce récit, il nous faut retourner aux débuts de la modernisation de l’agriculture, démarrage d’un processus qui la mena vers l’industrie agricole que nous connaissons aujourd’hui.

 

L’apparition du débat écologique a entraîné une profonde critique de l’agriculture industrielle et de ses acteurs.

Cette recherche s’inscrivait dans le but de productivité d’une agriculture entre les mains d’un nombre toujours plus réduit d’agriculteurs chargés de nourrir une quantité de population toujours croissante.

>

Addington Archives, Flickr, Creative Commons (CC BY-NY 2.0)

 

Des innovations techniques toujours plus performantes amenèrent à une transformation profonde de la manière dont on cultivait. L’abandon de la charrue au profit du tracteur et d’autres mécanisations du même type permirent une augmentation exceptionnelle de la productivité des agriculteurs. Ce sont des telles évolutions qui firent que l’on est passé de la majorité de la population française travaillant dans les champs au début du siècle à moins de 3% aujourd’hui.

Cette mécanisation fut couplée à l’arrivée des produits chimiques qui bouleversèrent le monde agricole. Ces intrants -- produits externes ajoutés à la terre -- de synthèse devenaient une palette dans laquelle l’agriculteur pouvait puiser les ingrédients nécéssaires pour traiter ses terres et augmenter leur fertilité. Dès que les sols manquaient de nitrates ou d'azotes, on lui conseillait de procéder à un épandage de produits chimiques. On avait ainsi l’espoir de construire une agriculture "parfaite", moins sensible aux aléas climatiques et multipliant les rendements.

 

Le dernier élément de cette agriculture très productive était le travail d’une science performante à travers l’amélioration variétale, soit la sélection des meilleures variétés de plantes par les agronomes (les scientifiques de la production agricole) dans l’optique de trouver les spécimens les plus largement adaptés et les plus fertiles d’un point de vue "universel". Cette recherche s’inscrivait dans le but de productivité d’une agriculture entre les mains d’un nombre toujours plus réduit d’agriculteurs chargés de nourrir une quantité de population toujours croissante.

L'accusation de l'agriculture industrielle

Ce modèle sut montrer son efficacité (ne perdons pas de vue que la production par agriculteur a été multipliée de manière exponentielle au début du 20e siècle) et aurait pu continuer son développement mais il commença à essuyer de sévères critiques à partir des années 1980.

Comme nous le voyons dans ces témoignages, la modernisation de l'agriculture fut rapidement pointée du doigt. On stigmatisait cette agriculture de l'après-guerre pour ses excès. La trop forte utilisation d'éléments externes était accusée de mener à un épuisement des sols, à un besoin d'accroître constamment les quantités nécessaires d'intrants pour contrer des maladies, des insectes et des mauvaises herbes qui savaient s'y adapter.

Dans cette argumentation contre l'agriculture mécanisée, l'utilisation de produits externes se faisait au détriment du sol qui devenait un simple support, un substrat sur lequel on jouait sans trop le prendre en compte. On accusait notamment l'agriculture moderne de "nourrir la plante" directement au lieu de prendre en compte le sol.

>

L'oubli des savoirs

L'irruption de crises sanitaires et environnementales au début des années 1990 ainsi que l'arrivée dans l'agenda médiatique et plus généralement dans "l'air du temps" du débat écologique amenèrent une partie de l'opinion publique à dénigrer la profession agricole. Ces critiques se firent plus pressantes et sévères à mesure que le débat écologique s'installait et que la logique industrielle de l'agriculture différait des idéaux de "durabilité" nouvellement installés.

 

Cette critique des méfaits des l'agriculture moderne se couplait d'une accusation concernant la "perte des savoirs anciens". Face à des pratiques industrielles et techniques décriées, on fantasmait une agriculture plus traditionnelle et saine, ancrée dans des savoirs locaux qui avaient fait leurs preuves au fil des siècles (en oubliant un peu vite les différences de productivité entre le bon paysan du 17ème siècle et le méchant agriculteur des années 1960).  

 

La critique de l'agriculture industrielle et cette accusation d'oubli de savoirs anciens jugés positifs et durables amena à une crise identitaire majeure chez les agriculteurs.

La diabolisation des paysans

Attaqués dans leurs pratiques et dans leurs savoir faire, ils se retrouvèrent au centre des critiques environnementales.

 

Accusés d'avoir oublié les bonnes techniques ancestrales, les agriculteurs étaient stigmatisés pour leurs pratiques. Ils se retrouvaient malgré eux au coeur de l'inquiétude environnementale et les pratiques qu'ils avaient depuis longtemps étaient désignées responsables de dommages environnementaux.

 

Cette situation compliquait fortement l'identité de l'agriculteur. Comme l'explique Konrad Schreiber, beaucoup se retrouvaient pressés par les mêmes contraintes de production qu'autrefois mais étaient tenus de produire de manière respectueuse de l'environnement, pour satisfaire aux exigences nouvelles d'une société qui prenait conscience de la nécessité de protéger la planète, c'est ce qu'il qualifie "d'écologie politique".


Les agriculteurs n'étaient néanmoins pas les seuls coupables de cette crise agricole. La recherche scientifique aussi fut pointée du doigt comme celle qui avait rendu possible cette mécanisation, cette technicité de l'agriculture qui montrait soudainement ses limites. La tendance à la généralisation recherchée par la science (et l'exemple représentatif de l'amélioration variétale) en faisaient la deuxième grande responsable des égarements de l'agriculture et de sa culpabilité dans la nouvelle crise environnementale.

 

Vous savez maintenant que l'irruption du débat écologique à la fin des années 1990 s'accompagna d'une accusation en règle de l'agriculture industrielle qui s'était développée tout au long du 20e siècle. Cette critique prit pour cible l'agro-industrie en tant que système mais s'adressa aussi directement aux agriculteurs et à la science à l'origine d'innovations nouvellement jugées destructrices.

>

Nous vous proposons de découvrir dans la suite de ce récit que face aux attaques contre leurs pratiques et leur identité, beaucoup d'agriculteurs se sont engagés dans la construction de modèles agricoles alternatifs.

 

justinrussell, Flickr, Creative Commons (CC BY-NY 2.0)