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la difficile representation   du monde agropastoral 

« Au départ, c’était : ‘’on nous entend pas, on ne sait même pas ce qui nous arrive’’ ,  une prise de conscience de leur part que sans communication ils ne s’en sortiraient pas et ils étaient condamnés. La problématique au départ, c’est d’être ‘’entendable’’. C’est-à-dire que jusqu’à ce moment-là, la seule stratégie des éleveurs avait été de suspendre des carcasses sur les grilles des préfectures, et de crier fort, de crier tellement fort que personne ne les écoutait. Au début, les revendications des éleveurs c’était ‘’on veut se défendre, on veut exister ! ’’ ça ne concernait pas l’éradication du loup ! Ils en sont venus à des extrémités comme demander ça, même s’ils savent très bien que c’est impossible tout simplement parce que personne ne les écoute, donc forcément, il y a une radicalisation du discours, mais ils demandaient juste à faire leur métier, c’est tout. »

Marion Martin-Lurcel pour l’agence Oyopi  chargée de la communication  de l’association « Eleveurs et montagne »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Parce qu’après on a fallacieusement communiqué sur une prétendue rusticité des éleveurs de montagne, on a fallacieusement communiqué sur leur prétendue incapacité à comprendre quoi que ce soit, y compris sur la nature, on a cristallisé ça, on a construit une image de ces gens la, autour du conflit, et on s’est servi du conflit pour les délégitimer auprès de l’opinion publique. »

 David Chétrit, auteur du livre La réintroduction de l'ours, L'histoire d'une manipulation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Je pense que si vous connaissez ADET Pays de l’ours, vous connaissez François Arcangeli, le maire d’Arbas; sa mairie a été saccagée complétement par quelques virulents opposés à l’ours. Qui sont des gens qui sont carrément des délinquants ? Je pense qu’il ne faut pas avoir peur des  mots, certains ont été condamnés de toute manière; ils sont prêts à des actions violentes rien que parce que quelqu’un s’est dit en faveur de la réintroduction de l’ours, donc on est quand même dans des mondes ou il ne faut pas aller jusqu’à des extrêmes qui sont  des extrêmes de violence, et qui sont utilisés par certaines  personnes anti ours de façon totalement disproportionnées. »

Olivier Guder – Animateur pour l’association Ferus

 

 

« Eleveurs : les morsures invisibles »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                 Documentaire réalisé par David Le Glanic

 

 

« Pour le système d’indemnisation, l’essentiel n’est pas là. Souvent, les éleveurs sont attachés à leur bête, ils les connaissent toutes, et il faut voir la souffrance de ces gens lorsque leurs bêtes sont attaquées. On parle souvent de bêtes mortes, mais il y en a aussi des blessées, qu’ils sont obligés d’abattre ou soigner eux mêmes… Les indemnités, certes cela leur permet de garder la tête hors de l’eau, mais ça ne prend pas en compte les dégâts collatéraux, comme les bêtes qui avortent. Ça ne prend pas en compte le troupeau stressé, et la baisse de productivité, les maladies transmises au troupeau par les patous. A cause du loup,  on parque maintenant les animaux, et toutes les maladies ordinaires deviennent encore plus régulières car les bêtes sont concentrées au même endroit. »

 

Marion Martin-Lurcel pour l’agence Oyopi  chargée de la communication  de l’association « Eleveurs et montagne »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Lorsqu’un ours attaque un troupeau, c’est au berger qu’incombe la recherche des cadavres, les animaux disparus n’étant pas indemnisés, et c’est une véritable course contre la montre qui s’engage puisqu’il faut être plus rapide que les vautours sur des superficies et des distances qui impliquent parfois plusieurs heures de marque. (…) Les bergers mettent également en avant qu’un troupeau attaqué est généralement affolé et totalement immaitrisable et inapprochable pendant plusieurs jours. Les bêtes sont dispersées sur des estives voisines, se mélangent aux autres troupeaux, et ce chaos se traduit pour les brebis laitières par l’interruption des traites et l’arrêt de la lactation des bêtes, pour les brebis à viande par un comportement erratique qui affectera durement la production. Une attaque d’ours occasionne également des avortements des brebis en gestation et la perte de bêtes qui sont parfois le fruit de plusieurs décennies de sélection. Le stress des bergers est réel, et les suites d’une attaque sont souvent moralement et psychologiquement difficiles pendant longtemps. Enfin, les indemnités ne sont parfois versées que plusieurs mois après les attaques. » David Chétrit,  La réintroduction de l'ours, L'histoire d'une manipulation.

 

 

 

« ça vous remue les trippes », l’explique Philippe Lahoucarde, éleveur.  L’aspect psychologique et émotionnel des attaques de prédateur n’est pas un paramètre pris en compte dans le système d’indemnisation. Pour Philippe Laurent, médecin du travail à la mutualité agricole, participant à la réalisation du documentaire « Les morsures invisibles », les conséquences d’une attaque, sur le troupeau mais aussi et surtout sur l’état psychologique des bergers est indéniable.

 

 

 

 

 

 

 

Une  mobilisation  ? 

 

 

C’est aussi pour fournir aux éleveurs cette aide et ces moyens dont ils ne disposent pas a priori, que des associations se sont elles aussi constituées, permettant le recours à des moyens professionnels adaptés pour relayés leur situation (l’association Eleveurs et montagne est par exemple associée à l’agence de communication Oyopi). Ainsi, l’ADDIP, l’Association pour le Développement Durable de l’Identité des Pyrénées, regroupe aujourd’hui un collectif de quatre associations, ou l’association Eleveurs et Montagne dans les Alpes, se veulent porte parole d’une voie qui peine à être entendue. De même, la solidarité reste aujourd’hui une valeur prédominante : “Ce qui nous a renforcé, c’est cette solidarité humaine qui fait que quand des collègues sont dans le pétrin, c’est de leur témoigner notre sympathie. On avait constitué une chaine de solidarité qui faisait que le jour ou il y avait un problème quelque part, de Perpignan à Bayonne, tout le monde se sentait mobilisé”. (Philippe Lahoucarde).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les bergers, réduits aux voies de la colère ? Pas seulement, ou pas tous, mais il n’en demeure pas moins que ceux qui sont acculés continuent d’exprimer ainsi le difficile soutien d’une cause qu’ils estiment légitime.

 

 deux    realites : 

 

 Face à la protection des espèces se pose la problématique de la protection du pastoralisme. Ces deux sujets, bien que liés, restent différents. Ce sont pourtant ces deux angles que nous retrouvons dans cette controverse, souvent abordés comme s’il s’agissait d’un seul et même sujet. Quel terrain d’entente trouver, lorsque pour ce qui semble être un même sujet, les uns parlent de la protection des espèces et se mobilisent en cette faveur, et les autres cherchent avant tout à défendre leur métier ? En somme, comment trouver une réponse à des questions posées et débats lancés qui ne sont, finalement, pas les mêmes ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du coté des bergers, la problématique soulevée fut souvent la même : comment, lorsque l’on travaille tous les jours de la semaine du lever au coucher du soleil, trouver le temps d’aller manifester et défendre sa cause ? De même, comment le faire sur un registre identique à celui des administrations, des experts, du personnel formé à ce genre d’exercice ? Les éleveurs, au cœur de la controverse liée à la question de la protection des grands prédateurs et, in extenso, des conséquences sur l’élevage de leur troupeau, apparaissent pourtant comme les grands absents du débat. Mentionnés en majeur partie dans les médias pour leurs actions « violentes », leurs agressions, leurs coups de colère, le fond de leur cause, elle, ne semble pas ou peu transparaitre dans le débat.

 

 

 

 

 

 

rustiques  contre associations porteuses de l'interet general  ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

> Face à des associations de protections qui disposent de moyens, de personnels permanents et bénévoles à travers le pays entier, les éleveurs restent des ruraux, dont les moyens de coordination et rapprochement géographique sont faibles voire parfois inexistants. Il semble alors difficile de s’élever directement dans le débat, ou, à défaut, de trouver des porte-paroles légitimes capables de les représenter dans une unité cohérente. Comme l’explique David Chétrit, «  Le plus souvent dans l’impossibilité de laisser leurs bêtes et les travaux de leur ferme (qui les mobilisent en moyenne une dizaine d’heures par jour), ils peuvent difficilement se déplacer et se réunir en grand nombre. La communication et la stratégie médiatiques ne leurs sont, de surcroit, pas familières. Ils ont peu de moyens pour rivaliser sur ce terrain avec les associations de protection de la nature et les administrations

 

Pour exemple, le 8 aout 2012, dans les Alpes-Maritimes, Didier Trigance, éleveur, avait agressé des représentants du parc du Mercantour venus dresser un constat d’attaque sur son troupeau, au prétexte qu’un des agents lui aurait dit « préférer le loup aux bergers ». L’éleveur, condamné à 4000 euros d’amende et 4 mois de prison avec sursis explique à l’issue du procès:

« Je suis soulagé que ça soit fini (…). Je suis condamné et je vais payer. Mais si la prédation continue comme ça, j'arrêterai le métier. Ca fait 30 ans que je suis éleveur et que je garde en montagne. Ce n'est pas une vie de supporter le stress sans arrêt. Aujourd'hui, il y a atteinte à l'homme. Je suis venu là pour être libre avec mon troupeau. Moi, je ne veux pas mourir avec des chiens blancs et mon troupeau dans un parc. Je veux mourir avec mon troupeau en liberté. (…) Ces paroles-là, elles n'auraient pas dû exister. Je ne les ai pas supportées. Il faut respecter l'homme et son travail ! Je sais que je n'aurais pas dû faire ça. Je n'avais jamais frappé qui que ce soit de ma vie. Mais il arrive un moment où ça explose. Si j'ai commis cet acte, c'est parce que la pression est trop montée. Depuis le mois de juin, nous avons une à deux attaques de loups par semaine. Avant, ils attaquaient la nuit mais maintenant, c'est en plein jour. Nos patous sont débordés et ne peuvent rien faire. On en est à plus d'une quinzaine d'attaques au total. En ce moment, j'ai 25 bêtes disparues qui ne seront jamais indemnisées. Je continue à retrouver des bêtes mortes plusieurs semaines après, qui elles non plus ne seront jamais indemnisées. Le troupeau est stressé et l'an prochain, nous aurons moins d'agnelage. Notre revenu baisse et si ça continue, ça ne sera plus intéressant. »

 

 

 

>  Chiens de protection débordés, système d’indemnisation limité, bêtes tuées qui fragilisent la condition économique de l’élevage et la condition générale du troupeau, dommages psychologiques : Didier Trignance souligne ici que l’accumulation des problèmes qui ne semblent pas portés, et pour lesquels aucune solution satisfaisante ne semble fournie, conduit à des débordements, réalisant ainsi l’image de violence que les autres acteurs construisent d’eux.  Cette image est alimentée par les évènements très médiatisés (dépôt de cadavre de brebis devant la préfecture de Tarbes, construction de pièges à ours,  menaces de mort, agressions, etc.). En tant que discours performatif, le discours des médias contribue à construire la réalité qu’elle prétend décrire : les éleveurs sont ainsi ramenés à l’essence de ce qui est attendu d’eux dans l’imagerie populaire : des gens « rustiques », parfois « incultes » et souvent « violents ». Elle évacue par là même le fond du problème (pourquoi réagisse-t-il comme cela ?) et pose les mauvaises questions.

 

 

 

la violence  : geste  de  desespoir ?

 
 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En somme, une minorité d’éleveurs, faute de temps et de moyens pour s’organiser, finissent par réagir lorsque la pression devient trop forte. Face à des « opposants » ou interlocuteurs légitimés juridiquement et culturellement, ces actions virulentes s’identifient à des « réactions de désespoir ». Pour Philippe Lahoucarde, éleveur dans les Pyrénées atlantiques, “Il ne faut pas citer que ces exemples de violence, mais oui, c’est vrai ils existent. Lorsqu’ils sont à bout, soumis à la provocation par média interposés, par des politiques qui n’écoutent personne. Ce qui se traduit par ça, c’est la colère, un ras le bol”.

"Reportage D!CI : "Manifestation anti-loups devant la Société Alpine de protection Alpine de la Nature"" a Gap le 08/11/2013

Manifestations d'éleveurs, 06/07/2007