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Conclusion

 

   Finalement, on en revient à notre question initiale : pourquoi protège-t-on une espèce ? La question demeure. Mais une chose est sûre : plusieurs intérêts s’affrontent, et la biodiversité n’est qu’un facteur parmi d’autres. Sa construction en intérêt général, en réponse à l’apparition d’une véritable conscience écologiste qui a contaminé l’ensemble du corps social, a permis de légitimer certaines actions contraignantes pour les populations locales en contact direct avec ces espèces sauvages. D’un sauvage géré localement, nous sommes passés à un sauvage institutionnalisé dont la conscience des réalités du terrain reste discutée par de nombreux acteurs. La volonté de mise en place de « forum hybrides » a été un échec pour plusieurs raisons : cultures différentes qui sont un frein à la communication, temporalités inconciliables ou encore conflits d’intérêts.

 

 

 

 

 L’ours et le loup se voient. Leur pouvoir symbolique est fort. Ils sont les porte-drapeaux de représentations d’intérêts divers, bien que d’autres espèces soient elles aussi en voie d’extinction en France. Si ces deux prédateurs cristallisent autant de tension, si c’est d’eux que l’on parle, c’est bien à cause de leur pouvoir de représentation : réintroduire un ours, le filmer lors de son lâchage, l’empailler pour une exposition ou montrer des brebis dévorées par un loup est bien plus fort au niveau symbolique que de réintroduire des amphibiens ou des papillons.

La perturbation qu’ils causent auprès des éleveurs est réelle et les dégâts (physiques, matériels, psychologiques) ne sont plus que rarement niés. Mais notre enquête nous a montré qu’ils sont aussi les catalyseurs d’un malaise plus profond. Le Docteur Philippe Laurent de la Mutualité sociale agricole utilise la métaphore de l’ordinateur : « Lorsque l’ordinateur est arrivé dans les entreprises, on lui associait tous les maux. C’était celui qui empêchait les gens de se concentrer, qui créait les conflits, sans qui tout irait bien. Et c’est lui qui nous a empêché de voir certains changements dans le monde du travail, un véritable malaise qui n’était pas nécessairement lié à l’ordinateur. Le loup est un peu l’ordinateur du monde agropastoral. Bien sûr qu’il créé des problèmes : je les observe au quotidien. Mais la détresse que je vois auprès des éleveurs n’est pas seulement liée au loup ou à l’ours : il y a un véritable sentiment d’abandon du monde agro-pastoral ».

 

 

  Alors que la biodiversité et la protection des espèces qui lui est liée sont posées en problématiques d’intérêt général, patrimoine de la France, qu’en est-il du monde agro-pastoral ? Si la controverse autour des espèces protégées révèle une crise du monde de l’élevage, comme le soutiennent certains acteurs -tant éleveurs que scientifiques-, le maintien d’une production nationale, d’un corps de métier, ne relève-t-il pas lui  aussi d’un “intérêt général” ?

La nature est politique. Et les politiques de la nature sont mouvantes (mettre un lien vers notre article sur les politiques de la nature) Considérer une nature séparée de l’homme, une nature sanctuaire, comme le soutiennent certains acteurs, ne semble pas viable. Car cette nature n’a jamais été. L’homme est intégré à la nature et son rapport à elle la transforme en permanence autant qu’elle le transforme. Les luttes que soulève la réapparition d’espèces jadis nuisibles et maintenant protégées par l’homme nous amènent à nous interroger sur cette politique : qui peut prétendre aujourd’hui à la gestion de la nature et dans quelle propension ?

 

 

  La controverse autour des espèces protégées - du loup et de l’ours - est animée par des passions. La passion pour la nature et pour ces animaux mythiques mais aussi la passion pour des métiers ancestraux aujourd’hui menacés. Il est difficile de rester de marbre face au risque de disparitions de ces deux grands carnivores, mais aussi face à la détresse du milieu agricole et rural. C’est pourquoi il était nécessaire de comprendre la vision de chaque acteur, de déconstruire et d’analyser chaque discours, en dehors de toute réaction émotionnelle pour pouvoir percevoir l'ensemble des enjeux de la protection de ces espèces. En d’autres termes, que ce soit pour l'ours ou pour le loup, qu'importe : il s'agit de ne pas vendre la peau de l'un, et de ne pas se jeter dans la gueule de l'autre, afin d'arriver à une gestion de la nature qui garantisse la pérennité de chaque. 

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