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La   bataille

des

experts 

NeutralitE  :  outil de legitimation  contestee

 

 

La " neutralité " des scientifiques devient un outil de légitimation. Pourtant, cette même neutralité peut être contestée par bon nombre d’acteurs.

 

 

 

 

 > Manipulation pour une reintroduction ? ;

 

Caroline Bourda, de l’association Éleveurs et montagne estime que les prédateurs européens sont […] gérés par des groupuscules de scientifiques qui n'échangent qu'en vase clôt (pas de jugement par leurs pairs en dehors de leurs organismes idéologiquement orientés) et sont chargés tout à la fois de veiller à la conservation des espèces, de les étudier mais ont également posé les bases légales de la protection et sont maintenant chargés d'interpréter pour l'Union Européenne leurs textes de lois qu'ils ont eux-mêmes proposé ». Pour David Chétrit « il n’y a jamais eu de démarche scientifique dans la réintroduction d’ours dans les Pyrénées, la souche pyrénéenne est génétiquement éteinte, et tout ce qui se trame derrière n’a aucun lien avec la préservation de la biodiversité […] Il suffit de lire quelques ouvrages de références scientifiques pour voir que l’on est à coté de la plaque sur la question de la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées ».

 

    

 > Le museum d'histoire naturel de Toulouse, un terrain neutre ? 

 

La mise en avant de la neutralité pour légitimer une position n’est pas l’apanage unique de la science. Le musée est un exemple frappant. Gaëlle Cap, commissaire de l’exposition « Ours : entre mythe et réalité » du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse annonce la position du muséum ainsi :  c'est une exposition qui se veut ouverte à tous, peu importe l'âge, le niveau d'éducation ou de culture […] nous avons voulu éviter de faire une exposition qui vienne se mêler à la polémique ». En se posant comme espace de neutralité, le musée construit une certaine réalité qu’il est sensé décrire. Il devient un espace performatif qui procède d’un véritable travail de représentation. Bien que le musée soit envisagé comme dépolitisé, en travaillant sur des objets polémiques (ici l’ours), il produit nécessairement une réalité qui le situe dans la controverse. La disposition des objets, l’agencement des salles, le livre d’or, l’accueil du public, la présentation du site internet, le choix des photos sont autant d’objets de représentation qui positionne le musée. Le texte introductif du site internet de l’exposition, point d’entrée pour de nombreux visiteurs, est parlant en ce sens : « Dans une dimension universelle, l’Exposition met en exergue la  perception complexe qu’entretient  l’homme face à l’ours et invite  le visiteur à s’interroger sur cette relation passionnelle qui l’unit à l’ours […] cette exposition est l’occasion d’établir un état des lieux sur notre perception de l’ours au travers du mythe que nous nous en faisons, et de rappeler la réalité scientifique qui s’impose à nous de manière objective, ni triste ni joyeuse, mais juste. Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication - Direction générale des patrimoines - Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État. » En un paragraphe, le musée se positionne : du côté de la sciences, des « faits objectif » (donc incontestables, « justes »), et des pouvoirs publics qui reconnaissent sont « intérêt national ».

 

D’autre part, en s’adressant "à tous", le musée constitue un public particulier (le public qui fréquente les musées, celui qui se tient informé des expositions et des actualités, ce qui dispose du temps nécessaire pour s’y rendre, etc.) en « grand public ». Il participe par la même à la construction de « l’opinion publique ». Ici encore, il est au cœur de la controverse : par ce processus de performation qu’est l’exposition, il expose le problème et constitue un public concerné par ce dernier, selon les mêmes procédés que les pétitions des associations.


 

 

Enfin, la question temporelle semble centrale dans la controverse. Pour Sophie Bobbé, de multiples temporalités s’affrontent : Prenons par exemple un parc national. L’éleveur, c’est sa saison d’agnelage, la chasseur, c’est sa saison de chasse, le touriste, de balade, le gestionnaire, son rapport quinquennale ou triennale ; à dix ans c’est la charte du parc, et puis il y a des dynamiques de populations animales à très long terme." Donc ils n’arrivent pas à faire parler leurs données car leurs temporalités ne se superposent pas, et il n’y a pas de prise en compte de la temporalité de l’autre. Il y a des gens avec des bonnes intentions mais des intérêts différents, si différents qu’il y a peu d’échanges entre eux sur les points de mise en concurrence de leurs intérêts ".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pourtant, et ce alors que les éleveurs et le monde agropastoral semble central dans la controverse, ils demeurent peu entendus, sauf lors d’évènements exceptionnel très méditatisés. Bobbé ajoute : " Je rencontre rarement des agriculteurs ou des éleveurs dans les lieux de prise de décision, ou en tout cas dans des lieux où la parole est suffisament libre pour être constructive. Je pense qu'ils n'ont pas la même culture, et leur arguments sont souvent vus comme corporatistes.". Pourquoi cette sous-représentation ? La lunette déformante des médias porte-t-elle leurs intérêts ? Les associations qui défendent leur cause et qui se posent en porte-parole sont-elles représentatives de l’ensemble de leurs revendications ?

 

Ce dialogue, où finalement la question centrale se perd ("pourquoi protège-t-on ces espèces? ") pour s’attarder sur des considérations techniques ou des attaques ad hominem, illustre bien comment certains chercheurs tracent les frontières pour se situer dans un camps ou dans un autre de la controverse.

 des scientifiques engages?  : 

 

>  Un animal bouc-emissaire

 

En avançant que " Le loup peut disparaitre, les problèmes du pastoralisme n'en disparaitront pas pour autant ", Benhammou se positionne assez distinctement du côté des acteurs qui estiment que le loup est un bouc-émissaire. Selon lui, le loup et l’ours sont des révélateurs d’une crise du monde agricole qui arrive en fin de cycle et de bouleversements mal vécus. Les difficultés concrètes posées par les grands prédateurs, symboles forts de la nature, entraineraient une réaction anti-environnementale qui s’attacherait à exagérer les problèmes réels causés par ces espèces – et qui, au final, leur nuirait. Au delà du débat sur les méthodes employés par le chercheur pour arriver à ses conclusions, le point de dispute au centre du débat entre ces chercheurs est donc bien l’ours et le loup qu’ils font vivre à travers leurs prises de position.

 

 

 >  un animal nuisible:

 

D’autres acteurs estiment que ces grands prédateurs sont l’origine des problèmes actuels du monde agropastoral, un nuisible donc. Pour l’association Éleveurs et montagne, le problème vient du fait que "la quasi-totalité des Français pense que les loups sont une espèce magnifique, qui n’est pas dangereuse, qui ne menace personne, qui a le droit d’exister... avec les millions d’euros d’aide des lobbys écologistes". Elle s’oppose donc aux associations de défense des animaux, telle que Ferus, qui selon elle sont complètement dans le "mythe du loup … Les éleveurs appellent ce type d’association les " khmers verts " ".  

 

 Pour David Chétrit, "l’installation de la controverse a été l’outil qui a permis justement à certains acteurs d’aller jusqu’au bout de leur rêve, c’est à dire d’obtenir des réintroductions d’ours dans les Pyrénées au mépris de toutes les réalités et surtout au mépris même de réalités scientifiques fondamentales". Chétrit s’installe dans le débat en utilisant les données de la science :

 

 "Je ne conteste pas les données de la science, mais au contraire je les rappelle et les reprécise. Ce sont ceux qui prétendent s’appuyer sur des données scientifiques pour légitimer les réintroductions qui au contraire font abstraction de principes scientifiques incontournables. L’étude du Museum [national d’histoire naturelle] fixe les conditions pour que l’on ait une population viable dans les Pyrénées mais ils s’agit d’ours réintroduits qui ne permettront pas à la souche pyrénéenne de revenir. Obtenir une population viable et conserver la biodiversité sont deux choses différentes […]  l’écosystème montagnard pyrénéen est un système agro-sylvo-pastoral depuis 6000 ans dont l’équilibre ne nécessite absolument pas la présence d’ours bruns ".

 

   Pour Chétrit, l’ours et le loup sont des prédateurs qui mettent en péril le l’équilibre précaire sur lequel repose le monde agropastoral. Il ne faudrait donc pas éluder ces problèmes majeurs au prétexte que les éleveurs connaîtraient d’autres difficultés : " Les éleveurs de montagne connaissent tous la dureté de leur travail et les conditions économiques que cela implique. Mais tous ces gens font ce métier par choix et par conviction et ne se plaignent pas de ces conditions. S’ils se plaignent en revanche des prédateurs, c’est parce que leur activité est tellement fragile, que les prédateurs mettent concrètement leur avenir en péril. "

    "Ce qui n’est pas la position de Farid Benhammou, pour qui ces prédateurs sont des catalyseurs de tensions plus profondes, des bouc-émissaires : « Faire des grands prédateurs la première menace du pastoralisme de montagne et des objets " nuisibles " anti-écologiques peut très bien déboucher sur des décisions politiques du plus haut niveau décidant de remettre sérieusement en cause le statut de ces espèces en situation biologique précaires en France. Le loup peut disparaître, les problèmes du pastoralisme n'en disparaîtront pas pour autant. Pire, ils pourraient retourner dans l'ombre. Il est important de replacer la question du pastoralisme et des grands prédateurs dans le cadre des évolutions politiques et économiques locales, nationales et internationales " (Cahier de l’environnement n. 48, février 2003)

 

 

 

 >  un animal garant de la biodiversite : 

 

À l’opposé, les associations de défense des animaux posent l’ours et le loup comme des nécessités au maintient de la biodiversité. Ainsi, ce serait aux éleveurs de s’adapter à leur présence et de mettre en place les moyens nécessaires pour s’en prémunir. Pour Olivier GUDER, animateur Ile-de-France de l’association FERUS, « l’ours n’est pas une problématique forte en terme de mortalité. C’est un symbole. Je pense qu’il y a pleins de bergers  qui disent : "nous on veut pas d’ours" parce que ça oblige, quelque part, à avoir des moyens de surveillances, des moyens de protection qu’ils refusent d’assurer, ce qui pour nous est tout de même le rôle d’un berger ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ici encore les données scientifiques sont utilisées pour soutenir une position particulière, en même temps que d'être présentées comme neutres : « L’étude du Muséum [national d’histoire naturelle]  est intéressante parce que c’est fait par des scientifiques, des naturalistes qui font abstractions, eux, de tous les évènements qui ont pu se produire au cours des dernières années et font un constat en disant que si l’on veut une population viable dans les Pyrénées, il faut relâcher des ours ».

 

 

 

querelles   entre   scientifiques : une science manipulee?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

> La controverse sur la catégorisation des espèces protégées se joue sur plusieurs terrains. Les études scientifiques sont régulièrement contestées ou réutilisées pour appuyer des positions parfois divergentes. Un cas particulièrement frappant a été « le "droit de réponse" qui a secoué le Courrier de l’environnement n. 49 publié par l’INRA en février 2003, suite à un article de Farid Benhammou, géographe et professeur à Grenoble, intitulé "Les grands prédateurs contre l’environnement ? faux enjeux pastoraux et débat sur l’aménagement des territoires de montagne"  dans lequel il critique les travaux de trois chercheurs de l’INRA qui, " [s]ans se fonder sur des travaux et des connaissances solides », diffuseraient le postulat selon lequel " [l]es grands prédateurs sont le principal problème auquel doivent faire face les élevages de montagne ». Pour Benhammou, " [l]a mise en avant des grands prédateurs comme objet anti-environnemental et lubie exclusive des écologistes urbains est un paravent des difficultés de l'évolution de l'élevage ovin dans les montagnes françaises ».

 

La réponse des chercheurs ne s’est pas faite attendre. Christian Deverre, directeur de l’unité d’écodéveloppement de l’INRA, débute ainsi :

" Nous acceptons le débat qu’il porte sur nos hypothèses, nos méthodes, nos résultats ou nos prises de position. Mais nous refusons qu’il soit nourri d’affirmations mensongères. Nous remettons les choses à l’endroit par nécessité déontologique. Et, chacun à notre manière, nous indiquons tout ce qui reste à débattre pour être à la hauteur des vrais enjeux scientifiques, techniques et sociétaux."

 Dans sa réponse, le chercheur attaque Benhammou sur les techniques qu’il aurait employé : tronquer, imputer, omettre, « syllogisme arithmétique sous couvert psychanalytique ». Pour sa part, Michel Meuret estime que Benhammou "trompe ses lecteurs, ce qui est dommageable pour quiconque entend comme lui faire œuvre scientifique". Et Jean-Paul Chabert de conclure que « s’il se mettait à pister le loup sur le terrain ou enquêtait sur les moyens mobilisés et les difficultés rencontrées par les protecteurs du loup, notre auteur nous laisserait espérer de le voir moins porté aux délectures et aux bidonneries ».

 

 

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> Une autre querelle a opposé Pierre-Yves Quenette, chercheur spécialisé sur la question de l’ours à l’ONCFS, à Louis Dollo, le responsable du site Pyrénnée Pireneus, soutenu par l’ASPAP. Selon Louis Dollo, « Quenette et l’ONCFS manipulent la réalité » afin de donner une image  idéale et fausse » de la situation des grands prédateurs protégés en France. 

 

 

 

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des temporalites et des   interets  divergents : 

Un schema pour mieux comprendre ces catégories :