Conditions d'élevage

Alimentation et santé animale

source
 
De plus, une telle sélection génétique fait intervenir l’homme dans la reproduction des bovins, avec le recours à l’insémination artificielle. Une femelle pouvant être fécondée 7 semaines après son vêlage, qui intervient après 280 jours de gestation, on l’insémine à l’aide d’une semence de taureau sélectionnée pour ses caractères génétiques, préalablement conservée chez l’inséminateur. Un taureau reproducteur peut ainsi être le père biologique de plus de 6 000 bêtes, et ce longtemps après sa mort. Néanmoins, certains producteurs préfèrent avoir recours à une fécondation naturelle provoquée, en menant les vaches prêtes à être fécondées au mâle reproducteur. Ces méthodes relèvent d’une conception plus traditionnelle de l’élevage, qui va souvent de pair avec la recherche d’une viande de qualité (voir pour ceci notre entretien avec Benoît Couthier, éleveur de bovins en Bourgogne).
        La généralisation des pratiques artificielles de reproduction est tout de même un point que les défenseurs de la cause animale trouvent scandaleuse. Selon eux, L214 en tête, ce mode de sélection donne lieu à un appauvrissement considérable du patrimoine génétique de l’espèce. Dans leur perspective, cela s’oppose à la sélection naturelle darwinienne, puisque c’est justement l’homme qui sélectionne et adapte les animaux à ses besoins, en laissant s’éteindre des espèces autrefois domestiquées et désormais considérées comme moins rentables (voir notre entretien avec Brigitte Gothière, co-fondatrice et porte-parole de L214).

Dès l’étape de la sélection génétique, les parties prenantes soulèvent donc une question de taille : la responsabilité de l’homme dans la disparition de certaines espèces bovines, et son pendant : la généralisation de caractères génétiques qui sont au départ des anomalies.

On voit bien se former et se confronter deux idées distinctes de la responsabilité :

  • La première considère que les animaux doivent être élevés selon les besoins de la production et la demande des consommateurs, selon des techniques d’amélioration du produit et dans une logique industrielle de rendement. Leur responsabilité s’exprime vis-à-vis des consommateurs, de l’aval de la chaîne de production.
  • La seconde s’oppose à l’idée que le principe de rendement puisse être appliqué à des êtres vivants sensibles, d’autant plus que l’artificialisation de la reproduction implique l'appauvrissement de l’espèce. La responsabilité est ici pensée comme celle de l’impact des activités humaines sur son écosystème.

 

    Précisons toutefois que les caractéristiques de la reproduction bovine sont des freins à l’industrialisation de la production. Si les techniques de reproduction et de sélection génétique sont un point d’échauffement dans la controverse, l’espèce bovine n’est pas au centre de ces débats.

 

ELEVAGE

         Vous entrez ici dans une étape cruciale, qui est le point de départ de la production de viande. La sélection animale — c’est-à-dire le choix des animaux reproducteurs qui vont créer la génération suivante — a toujours un objectif au sein d’un élevage : améliorer ou maintenir un caractère dans la population d’une race. On parle donc d’amélioration, puisqu’il est question de faire correspondre l’animal amélioré à un contexte socio-économique. Il s’agit en effet de répondre aux attentes des consommateurs et aux mouvements sociaux qui peuvent émerger et être pointés du doigt par les médias, mettant ainsi à mal les systèmes de production viande. Bien souvent, la sélection génétique a des répercussions sur des populations animales dans des régions entières, voire sur l’ensemble d’un pays.

 

Qu’est-ce que la sélection génétique et pourquoi est-elle un élément problématique ?

 

      La sélection génétique par hybridation est destinée à obtenir des organismes qui gardent un maximum de qualités de leurs parents et un minimum de leurs défauts. L'hybride F1 (de première génération), obtenu par le croisement de deux lignées génétiquement pures, doit se conformer à un cahier des charges très strict en termes de rendement et de résistance aux pathogènes.

       Depuis des millénaires, les agriculteurs et éleveurs sélectionnent les meilleurs représentants d'une espèce animale ou végétale, pour que leur croisement donne les individus les plus vigoureux et résistants. En effet, l'hybridation engendre souvent des individus plus résistants que leurs parents, c'est ce que l'on appelle "la vigueur hybride". Les progrès en matière de génétique ont accéléré ce processus.

        Intéressante pour le rendement et la résistance des animaux, la sélection génétique a aussi un impact sur la biodiversité, puisque les espèces ou sous-espèces moins "intéressantes" pour la production de viande sont progressivement abandonnées, finissant par disparaître. D'autre part, les espèces privilégiées ne sont jamais à l'abri d'un nouvel agent pathogène (parasite, virus, prion, etc.) auxquels elles seraient sensibles : il n'est donc pas impossible de voir une espèce sélectionnée décimée par une maladie, sans qu'il soit possible de la remplacer par une espèce voisine.

          Cela est susceptible d'engendrer différentes prises de position, et des partis pris opposés.

 

Quelle est l’importance de la sélection animale dans la quête d’une responsabilisation de la production de viande ?

 

       Si nous avons choisi de nous y attarder, c’est parce que nous avons pu constater lors de nos recherches que la construction de la responsabilité intervenait dès cette étape. En effet, une des définitions de la responsabilité, construite par une partie importante des acteurs mobilisés sur ce sujet, concerne les aspects liés au produit fini : il s’agit ainsi de se responsabiliser vis-à-vis du consommateur, en lui proposant un produit qui ne présente pas de risque pour sa santé. Cette définition de la responsabilité est née des nombreuses crises sanitaires qui jalonnent la consommation de viande, depuis les années 1990. Cette “responsabilisation” se manifeste par certains choix effectués en amont de la production de viande. D’après Génétique et sélection des animaux, un rapport de Louis Ollivier, directeur de recherche honoraire à l’INRA pour l’Académie d’agriculture de France, vers les années 1970-1980, la sélection s’est en effet orientée vers la qualité du produit. Nous sommes ainsi passés progressivement d’un “produire plus” à un “produire mieux”, un “produire responsable”, en quelque sorte. En effet, nous nous sommes rendus compte que la majeure partie des recherches sur la sélection animale va de plus en plus dans le sens d’une meilleure prise en compte de la santé du consommateur, à travers l’abandon progressif des antibiotiques, en sélectionnant des races qui y sont naturellement résistantes. Nous y reviendrons.

      Toutefois cette définition de la responsabilité n’est pas la seule dont nous rencontrons ici les prémisses. Comment différents acteurs interviennent lors de la sélection animale pour proposer leur version d’une production responsabilisée ? Quels sont leurs arguments, et comment sont-ils construits ? Nous tâcherons d’y répondre, afin de comprendre les différents enjeux qui se dégagent de cette étape que nous jugeons incontournable, et qui conditionne le reste du traitement de notre controverse.

 

        En préalable à l’entrée dans le vif du sujet, il faut cependant que nous distinguions deux types d’espèces : ce que l’on qualifie de “gros animaux d’élevage”, c’est-à-dire les mammifères herbivores et dont la reproduction est lente ; et les petits animaux, à la reproduction plus rapide. Dans les filières de production des premiers, les éleveurs réalisent souvent eux-mêmes la reproduction de leurs bêtes. Ainsi, la production et la sélection ne sont pas des étapes distinctes, mais sont fusionnées en une seule. Dans le deuxième type, la production et la sélection sont généralement dissociées. L’élevage porcin appartient donc un modèle intermédiaire.

 

Pour une histoire récente de l’évolution de

la recherche et de la sélection génétique, lire

 

 

 

 

 

Landrace

        En parcourant notre site, vous allez comprendre que la production de viande ne va pas sans poser certains problèmes, soulevés par différents acteurs, dont les discours sont en interaction et bien souvent s’opposent. Dès le début de nos recherches, nous nous sommes rendus compte que ce sont les techniques d’élevage en elles-mêmes qui condensent la plupart des discussions autour de la responsabilité. Ainsi, nous apportons un soin particulier aux descriptions de ces différentes techniques, qui occupent la partie la plus importante de notre controverse.

Examinons dans un premier temps les différentes définitions de l’élevage. D’après Le Larousse, l’élevage renvoie à la production et à l’entretien du bétail, ainsi qu’à l’ensemble des animaux d'une espèce entretenus pour en obtenir une production. Selon Wikipédia, l’élevage est l'ensemble des activités qui assurent la multiplication des animaux souvent domestiques, parfois sauvages, pour l'usage des humains. Si nous nous appuyons sur Le Littré, l’élevage renvoie au fait d’élever du bétail en vue de la production de viande et de produits laitiers.

Jocelyne Porcher, dans Ne libérez pas les animaux, estime quant à elle que l’élevage est un rapport historique de production avec les animaux. En effet, le travail a des rationalités économiques, mais aussi relationnelles et identitaires. Mais à partir du milieu du XIXème siècle, l’élevage est devenu une activité économique comme les autres, réductible à des critères de rendement, de productivité, de profit, en excluant les autres rationalités du travail avec les animaux. Les animaux d’élevage sont ainsi devenus des “machines animales”.

 

Il existe différents systèmes d’élevages :

  • L’élevage pastoral, ancestral et nomade, qui relève du système d'élevage extensif, ce qui signifie que les animaux sont élevés en plein air et que la densité d’animaux dans les exploitations est faible.
  • L’élevage traditionnel, associé à la culture des sols, et qui assure l'autosuffisance générale ou partielle de l’exploitation.
  • L’élevage biologique, axé sur la production d'origine animale et sa commercialisation avec un minimum souhaité d'effet négatif sur l'environnement.
  • L’élevage conventionnel, centré sur la production d'origine animale (viande, lait, œuf...) et sa commercialisation à grande échelle.
  • L’élevage intensif ou industriel, conventionnel, axé sur la recherche du maximum de rentabilité.
  • Le “mini-élevage”, élevage familial ou à petite échelle, encouragé dans les villages isolés ou défavorisés pour remplacer la cueillette et le braconnage.

Autant de systèmes qui répondent à des techniques différentes, et dont les produits n’empruntent pas les mêmes circuits.

 

        Ici, nous allons surtout nous intéresser aux problèmes soulevés par l’élevage industriel intensif, qui fournit la grande distribution. La raison en est simple : c’est cette technique particulière d’élevage qui soulève le plus grand nombre de questions en lien avec notre problématique, et c’est là que nous ont mené nos recherches, tant au niveau scientifique que médiatique. Mais comment cet élevage a-t-il fait son apparition dans le paysage agricole français ?

 

Après la Seconde Guerre mondiale, le constat est sans appel : la France n’est plus autosuffisante.  Il faut nourrir la population, qui connaît une croissance démographique forte. Les réflexions se portent alors sur la modernisation de l’agriculture française, et ces réflexions font émerger un élevage d’un nouveau genre : l’élevage intensif. Ainsi, la spécialisation croissante du secteur agricole, due aux exigences grandissantes du marché, aux perfectionnements du matériel génétique, aux équipements agricoles et à la disponibilité d’aliments relativement bon marché pour les animaux, a entraîné une augmentation des effectifs des troupeaux et de la taille des exploitations. La naissance de ce type d’exploitation, en produisant en masse, a permis une réduction des coûts.

 

         Jocelyne Porcher dans Ne libérez pas les animaux, s’est penchée sur le cas de l’élevage intensif. Selon cette dernière, l’élevage intensif ne renvoie pas à un système de production particulier mais au fait que certains facteurs du système de production sont intensifiés. Le plus souvent il s’agit de l’espace. Ce qui explique la confusion avec l’élevage industriel. Ce qui pose problème n’est pas "l’élevage intensif" mais les systèmes industriels de production animale. L'élevage intensif a pour but d’augmenter le rendement de l’activité, soit en augmentant la densité d'animaux sur l'exploitation, soit en s'affranchissant plus ou moins fortement du milieu environnant (confinement). Cela permet de réduire les prix, et de rendre la production moins dépendante des aléas climatiques, ce qui a permis de diminuer de manière importante les risques liés aux germes transmissibles par l'alimentation tels que les salmonelles.

 

       Un élevage intensif se caractérise par sa surface réduite, et sa densité élevée d’animaux. Dans certains cas, il se caractérise aussi par la faible surface de culture dédiée à l'alimentation des animaux, entraînant la diminution significative de l'autosuffisance de l'éleveur pour l'alimentation de ses bêtes. Lorsque l'élevage est conduit de manière totalement indépendante de la production agricole locale, on parle alors d'élevage "hors sol”.

L'élevage intensif porte en général sur les races fortement sélectionnées, principalement les volailles et les porcs. Il touche aussi les bovins, mais dans une moindre mesure (vous avez découvert, dans notre partie consacrée à la reproduction et à la sélection génétique, l’importance de la sélection des races pour la production de viande).

 

        Parmi les techniques de l’élevage intensif figure l’élevage en batterie. Il lui est attribué un degré supérieur en terme d’“intensivité”. C’est de l’élevage en batterie qu’est monté le mécontentement des associations de défense de la cause animale. Le terme “batteries” provient des cages métalliques disposées de manière linéaire, parfois superposées sur plusieurs étages. Des normes imposées par l’Union européenne définissent le nombre d’animaux par cage. D’ailleurs, ces normes ont considérablement modifié l’élevage en batterie, qui a du s’adapter à la réglementation en vigueur, et est désormais plus proche de l’élevage intensif. Les animaux élevés “en batterie” sont les poules pondeuses, les lapins, et les veaux. Notons tout de même que le terme “batterie” n’est plus employé pour les veaux, on lui préfère aujourd’hui l’appellation “veaux de boucherie”, quand bien même la technique reste la même.

 

     Les objectifs de l’élevage industriel intensif sont de deux ordres : économiques, puisque la mécanisation des activités quotidiennes, que ce soit l’alimentation ou le retrait des déjections, permet la réduction de l’intervention humaine et donc du travail ; et aussi ergonomiques : la concentration d’un nombre important d’animaux dans une surface dédiée permet de réduire l’espace dans lequel on élève ces animaux.

 

         L’élevage intensif soulève certaines questions qu’il est important de mentionner. La faible qualité des produits, en raison des prix peu élevés, est un aspect considéré comme problématique.

Les conditions de vie des animaux sont le combat perpétuel des associations de défense de la cause animale, qui plaident pour que le bien-être des animaux d’élevage soit respecté, et soit au coeur des préoccupations des éleveurs. Bien-être défini par l’Organisation Mondiale de la Santé Animale comme étant “la manière dont un animal évolue dans les conditions qui l’entourent. Le bien-être d’un animal (évalué selon des bases scientifiques) est considéré comme satisfaisant si les critères suivants sont réunis : bon état de santé, confort suffisant, bon état nutritionnel, sécurité, possibilité d’expression du comportement naturel, absence de souffrances telles que douleur, peur ou détresse. Le bien-être animal requiert les éléments suivants : prévention et traitement des maladies, protection appropriée, soins, alimentation adaptée, manipulations réalisées sans cruauté, abattage ou mise à mort effectués dans des conditions décentes.” (source). Cette prise en compte du bien-être animal est devenue si importante ces dernières années que le Ministère de l’Agriculture en a fait une de ses priorités d’action. Sur le site du Ministère, dans l’onglet “Santé et protection des animaux”, nous lisons ceci : “élever des animaux (bovins, volailles, moutons, porcs, poissons, etc.) à des fins alimentaires est une nécessité. Cet élevage doit se faire dans des conditions compatibles avec le bien-être animal, y compris dans les bâtiments d’élevage industriel. Respecter les animaux, c’est aussi garder une harmonie avec la nature et avec l’environnement.

 

         Les risques sanitaires poussent les autorités à perfectionner leurs contrôles, sous l’oeil de plus en plus exigeant du consommateur, alerté par les médias.

Les impacts environnementaux (forte consommation d’eau, rejets polluants…), sont aussi au coeur des critiques aujourd’hui dressées contre l’élevage intensif. En effet, pour la consommation ou pour l'alimentation des animaux, l’agriculture intensive demande un apport important d'engrais et de produits phytosanitaires. Les engrais apportent aux végétaux l'azote qui ne peut être récupéré directement dans l'environnement, essentiellement sous forme de nitrates. Pour être sûr que le rendement optimal des cultures soit atteint, les engrais azotés sont souvent apportés en excès : environ 19 % de l'azote apporté reste dans le sol, se transforme en nitrates et s'infiltre vers les nappes phréatiques, entraîné par les eaux de pluie, ou s'écoule vers les fleuves, mers et océans.

Les eaux surchargées en nitrates voient les algues vertes (et autres plantes aquatiques) proliférer, créant un phénomène de “marées vertes” ou eutrophisation. L'oxygène de l'eau est alors consommé en masse, ce qui provoque la mort par asphyxie de la faune aquatique, et détruit l'écosystème.

 

        Aujourd’hui, le contexte économique a mis l’élevage face à un nouveau défi : on cherche, dans tous les secteurs, à obtenir une rentabilité qui soit la plus élevée possible, tout en proposant des produits à bas prix. Les circuits longs se multiplient, les intermédiaires doivent être payés, et l’éleveur doit pouvoir être rémunéré à hauteur de son travail.

 

         Dès lors, nous constatons plusieurs visions de la responsabilité, susceptibles de s’opposer. Quand les associations de défense de la cause animale choisiraient de privilégier une définition de la responsabilité qui prendrait en considération le bien-être animal, les éleveurs privilégient la productivité et le maintien de leur salaire.

 

      Entrons maintenant plus en détail dans les différentes conceptions de la responsabilité. Nous avons choisi de développer l’élevage porcin, bovin, ainsi que l’élevage de volailles et de poules pondeuses. Nous avons choisi ces trois animaux car ils sont les plus consommés en France. Les objectifs de production étant élevés, la majorité des éleveurs a recours à des techniques relevant de l'élevage intensif, sauf peut-être pour les bovins, qui représentent une catégorie à part. Volontairement, nous avons écarté les lapins, et les chevaux, parce que ce n’est pas vers ces animaux que notre enquête nous a menés.

      La question de la nourriture ingérée par les animaux d’élevage est peu connue du grand public. Ce dernier y est sensibilisé lors des crises sanitaires, par exemple dans le problème lié à l’utilisation excessive des antibiotiques dans l’alimentation animale, qui a des conséquences néfastes pour l’Homme. Pourtant, l’alimentation animale est au centre des préoccupations des éleveurs qui y portent une grande attention afin d’améliorer les performances de leurs bêtes. Mais pour quelle vision de la responsabilité ?

 

        Du côté des éleveurs, l’alimentation animale est une question majeure. En effet, comme nous l’affirme Paul Mennecier, fonctionnaire au sein de la Direction générale de l'alimentation (DGAL — Ministère de l’Agriculture) : “On a pu se rendre compte dans certaines affaires que c’est tout à fait primordial de prendre un soin très important à ce que consomment les animaux, car la production - viande, lait, oeufs…- peut être compromise si on n’a pas bien nourri les animaux et si on ne les a pas élevé dans des bonnes conditions.

 

       C’est aussi l’avis de Pierre Frankinet, vétérinaire nutritionniste à Liège. Pour lui, l’alimentation des animaux d’élevage est une des clés indispensables pour fournir un produit fini de qualité. Ainsi, c’est une vision de la responsabilité qui s’exprime vis-à-vis du consommateur. Le métier de Pierre Frankinet est entièrement tourné vers l’élaboration de compléments alimentaires, mais il visite également les exploitations afin de mieux conseiller les éleveurs. Il soigne essentiellement des bovins, et nous explique que dans leur cas, la très grande majorité de l’alimentation est constituée par le fourrage généralement issu de la même exploitation. Cependant, leurs menus sont renforcés par des compléments alimentaires qui permettent d’améliorer leurs performances. Selon leur âge, les rations ne sont pas composées de la même manière.

 

    En ce qui concerne les bovins, par exemple, la nourriture se compose presque exclusivement de fourrage, auquel les éleveurs rajoutent des compléments alimentaires. En général, ce sont les éleveurs eux-mêmes qui produisent la majeure partie des aliments destinés aux animaux (foin, céréales). Certains d’entre eux travaillent en collaboration avec un nutritionniste qui équilibre les rations et fabrique les compléments alimentaires (nous avons rencontré l’un de ces nutritionnistes, le docteur Pierre Frankinet). Pour les veaux, 85% à 90% des aliments sont produits sur l’exploitation bovine même (notamment le maïs en sillage). C’est à 85% de l’herbe/foin, et à 15% des céréales (maïs). La composition des portions varie en fonction de l’âge et du statut de l’animal : un veau n’aura pas les mêmes besoins qu’une vache allaitante, ni qu’un boeuf à l’engraissement. Benoît Couthier nous a confié à ce sujet : “Les vaches qui sont "à l'entretien" ont un programme pour le développement squelettique, puis "à l'engraissement" c'est une ration pour les engraisser : il faut que l'animal soit rempli et qu'il ait une proportion intéressante dans la fibre musculaire de viande”.

 

        A l’inverse d’un éleveur de porcs ou de volailles, qui travaille majoritairement hors-sol, l’éleveur bovin doit tirer le maximum de sa terre, de sa région. Là intervient une autre vision de la responsabilité, qui prendrait en considération l’économie locale. Les compléments alimentaires à fournir diffèrent selon les éléments déjà contenus dans les sols de la région. Les associations écologistes critiquent l’élevage bovin qui monopoliserait les terrains, soit pour en faire des pâturages, soit pour fournir l’alimentation nécessaire aux bêtes. Selon Pierre Frankinet, cet argument ne tient pas dans la mesure où les terres utilisées pour l’élevage bovin seraient inutilisables dans d’autres fonctions : “toutes les terres ne peuvent pas fournir de l'alimentation humaine, surtout ici. Ce n'est pas labourable. La question se pose sur les régions de grande culture, et encore ! Toutes les terres labourables sont déjà destinées à l'alimentation humaine. Surtout que la quantité de céréales nécessaires à l'alimentation d'un bovin est minime comparée à celle dont ont besoin les porcs ou les volailles”. D’autre part, Pierre Frankinet nous explique que le bovin n’est pas concurrent de l’homme dans la nourriture dont il a besoin, à l’inverse du porc ou de la volaille : il valorise des aliments qui ne seraient pas utilisables autrement. Enfin, les éleveurs tendent à être de plus en plus indépendants des achats extérieurs et à valoriser leur terroir, évitant ainsi au maximum les importations. De gros progrès ont également été faits en matière de sécurité alimentaire. De très nombreux contrôles sanitaires sont effectués pour vérifier que les éleveurs n’utilisent pas d’antibiotique dans la nourriture des animaux, surtout depuis que l’Union Européenne en a prohibé l’utilisation préventive.

 

Quelle réglementation entoure l’alimentation animale ?

 

         Comme la plupart des questions relatives à l’élevage, le secteur de l’alimentation animale est régi au niveau européen. Un ensemble de textes réglementaires couvre notamment l’hygiène des établissements, la mise sur le marché et l’étiquetage des aliments. Ce sont les services départementaux qui sont chargés de faire respecter cette réglementation via des contrôles, comme les directions départementales de la protection des populations (DDPP) ou les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP). Un groupe scientifique, la FEEDAP, émet des avis indépendants quant à  la sécurité et/ ou à l’efficacité des additifs et produits ou substances utilisés en alimentation animale pour les espèces cibles, l’utilisateur, le consommateur et l'environnement. La FEEDAP réalise la plupart de ses travaux dans le cadre de procédures spécifiques d’autorisation liées aux substances qui doivent être évaluées par l’EFSA avant que leur usage ne soit autorisé dans l’Union européenne (pour aller plus loin).

 

L’alimentation animale est notamment encadrée par le règlement 178-2002, ce même texte à l’origine de la création de l’EFSA (l’autorité européenne de sécurité des aliments) et qui fixe les principes généraux de la sécurité alimentaire. Comme nous l’a expliqué Paul Mennecier, de la DGAL (Ministère de l’Agriculture), ce texte “fixe un certain nombre de principes généraux qui touchent toutes les activités, qu’on soit en élevage ou même dans l’alimentation animale, fournisseurs de produits pour l’alimentation animale”. On peut également citer le règlement (CE) n°1831/2003, qui, lui, régit les conditions d’autorisation et d’utilisation des additifs en alimentation animale. En effet, la plupart des maladies animales peuvent constituer un risque pour le consommateur via la chaîne alimentaire ou, plus rarement, via d’autres voies, y compris la transmission directe. Les exemples les plus connus sont les salmonelloses, la brucellose et l’ESB qui peuvent contaminer les aliments et provoquer des maladies chez les consommateurs. L’UE a adopté un éventail de mesures de contrôle, elle cofinance également des programmes de surveillance et d’éradication concernant certaines de ces maladies (fièvre catarrhale, fièvre aphteuse, fièvre porcine, rage, brucellose). Un cadre légal spécifique s’applique par ailleurs pour certaines maladies telles l’EST/ESB et la grippe aviaire. La réglementation en vigueur au sein de l’UE est rédigée en collaboration avec les États membres via le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale mais, en cas d’urgence, la Commission européenne peut adopter des mesures de contrôle ad hoc si cela s’avère nécessaire pour la protection de la santé publique et/ou animale. Une nouvelle disposition relative à l’hygiène est entrée en application le 1er janvier 2006 : le "Paquet hygiène". Composé de plusieurs textes législatifs adoptés par l’UE, il vise à harmoniser et simplifier les dispositions très détaillées et complexes en cette matière, auparavant dispersées dans 18 directives communautaires. L’objectif général est de mettre en place une politique unique et transparente, applicable à toutes les denrées alimentaires et à tous les exploitants du secteur alimentaire y compris ceux de l’alimentation animale et à créer des instruments efficaces pour gérer les alertes sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. Depuis l’entrée en vigueur du Paquet hygiène, les additifs antibiotiques à effet facteur de croissance sont interdits dans l’alimentation des animaux.

 

Mais certains éleveurs ont compris la nécessité de rationaliser l’usage d’antibiotiques et de le limiter. C’est ce qu’explique Jean-Michel Lamerant, éleveur porcin dans le Nord-Pas-de-Calais, Si tu utilises des antibiotiques, c’est qu’il y a un souci, et il vaut mieux essayer de voir pourquoi il y a un souci. J’en utilise, 4 flacons de 100ml de fléramiscine . Ce n’est pas beaucoup. Une truie qui a de la fièvre on va chercher pourquoi elle a de la fièvre, ça peut être parce qu’elle est constipée et dans ce cas ça peut aller très vite, on a une production d’avoine, c’est très fibreux et ça améliore le transit. On sort l’animal, on le fait marcher un peu et généralement ça aide à débloquer tout le système. Ca ré urine et ça remange. Après si ce n’est pas ça tu peux te dire mince c’est plus grave”.

 

Alimentation des animaux d’élevage industriel et responsabilité envers les consommateurs

 

        L’alimentation des animaux est principalement controversée au sein des exploitations industrielles, notamment dans les élevages de volaille. Beaucoup de reportages pointent les problématiques liées au bien-être animal et aux risques pour le consommateurs. Par exemple, le reportage En quête d’actualité : pizza, poulet, sushi… Faut-il se méfier de nos aliments préférés ?, diffusé sur D8 le 7 mai 2014, nous montre l’intérieur d’un élevage industriel de poulets, dans lequel plus de 200 mangeoires sont remplies 24h/24 à l’aide d’immenses réservoir situés à l’extérieur, afin que les animaux puissent se gaver en permanence. Comme pour les autres animaux d’élevage, le mélange est savamment travaillé pour augmenter leurs capacités, en fonction de leur âge et de leurs besoins. Un menu baptisé “démarrage” est servi aux plus jeunes, composé pour les fortifier et leur éviter les maladies. Dès qu’ils atteignent vingt jours, des graines plus grosses accompagnent leur croissance. Enfin, lorsqu’ils atteignent l’âge adulte, les menus sont préparés afin de leur donner une chair plus tendre et goûteuse. Mais même la propriétaire de l’exploitation ignore de quoi sont faits ces mélanges. On est bien loin du suivi quasi individualisé des élevages bovins du docteur Frankinet… Un vétérinaire de campagne qui soigne les poulets des élevages industriels depuis trente ans dévoile la composition des mélanges : céréales (blé, soja, colza, maïs) ainsi que certains additifs comme de la vitamine A et D, des enzymes pour permettre d’ingérer facilement de plus grandes quantités de nourriture, mais également de la salinomycine, un médicament puissant et antibiotique destiné à éliminer certaines bactéries. D’après le vétérinaire, certains éleveurs auraient tendance à en abuser, rendant alors les bactéries résistantes aux antibiotiques… Et ces bactéries se retrouvent dans l’alimentation humaine. Nous abordons plus en détail les problématiques liées aux antibiotiques dans la partie “Consommation - Santé et nutrition” de notre site.

 

Des critiques du côté des associations de défense du bien-être animal et de l’environnement

 

         Les associations de défense du bien-être animal critiquent également ces méthodes. Nous avons par exemple interrogé la présidente de l’association L214, qui à l’origine luttait principalement contre le gavage. Certaines associations dénoncent aussi les méfaits pour l’environnement provoqués par l’importation de matières premières, notamment le soja utilisé dans l’alimentation des animaux, qui provient en grande partie d’Amérique du Sud. “Cela détruit l'environnement et engloutit une grande quantité de nos matières premières que nous importons du Sud pour les nourrir”, a dénoncé dans un communiqué Barbara Unmüssig, présidente de la Fondation Heinrich-Böll, une ONG proche des Verts allemands. Selon l’ONG écologiste Friends of the Earth, “plus de 40 % de la production annuelle de blé, de seigle, d'avoine et de maïs est utilisée pour l'alimentation animale. Un tiers des 14 milliards d'hectares de terres cultivées dans le monde est utilisé pour nourrir les animaux d'élevage” (informations recueillies sur le site de La France Agricole)

 

 

Ainsi, le gène culard (excroissance de l’arrière train de la bête) a été généralisé chez les vaches à viande, car les bêtes élevées sont d’une découpe plus facile, et produisent une quantité plus importante de viande de qualité. Ces bêtes ne peuvent mettre bas que par césarienne, ce qui représente une souffrance pour les animaux dont le vêlage est forcément chirurgical.

     L’élevage de volailles, dont nous étudierons surtout les poulets, fait aussi appel à la sélection génétique pour améliorer les performances des bêtes. Les poulets qui sont élevés pour la production de viande sont appelés “poulets de chair”, et correspondent le plus souvent à un croisement dit "4 voies" comprenant deux étapes de croisements entre des reproducteurs de type “grand-parentaux” (issus des lignées pures en sélection) puis “parentaux”.

 

D’après un article de l’INRA intitulé Sélection génétique et bien-être des poulets de chair et des reproducteurs, qui date de 2011, “depuis la seconde moitié du XXème siècle, la sélection génétique du poulet de chair utilisé en filière standard a eu pour principal objectif un gain de productivité, grâce à l’augmentation de la vitesse de croissance et la diminution de l’indice de consommation. Ainsi, il faut actuellement 30 jours pour que ces poulets atteignent 1,5 kg alors qu’il en fallait 120 dans les années 1950”.

         Avec la montée des enjeux de la sélection génétique des poulets est né un marché économique que différents acteurs se partagent. Le groupe Erich Wesjohann (Allemagne) détient 40 % du marché, tout comme le groupe français Grimaud. Le groupe Hendrix Genetics, issu des Pays-Bas, détient quant à lui 20 % du marché.

       A cette étape, différentes visions de la responsabilité, portées par différents acteurs, prennent racine. Quelles sont-elles ?

 

La génétique et les poulets de chair

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sélection et pyramide de multiplication d’une lignée

commerciale de poulets de chair (source INRA)

 

          Grâce aux croisements successifs, ce schéma pyramidal présente la multiplication nécessaire à la production d’un grand nombre de poulets commerciaux, tout en conservant la complémentarité entre les lignées mâles et femelles (soumises à des pressions de sélection différentes sur la croissance et la reproduction). Il assure, par ailleurs, une protection du matériel génétique.

 

Un processus problématique dans lequel différentes visions de la responsabilité s’affrontent

 

          Comme pour les autres animaux d’élevage que nous étudions, il apparaît qu’il faut faire un choix. Un choix entre un gain de productivité, et le bien-être animal. Un choix entre se responsabiliser vis-à-vis de l’animal, en prenant en considération son bien-être, et se responsabiliser vis-à-vis du consommateur, en lui offrant un produit de qualité, qui ne présente pas de risque pour sa santé.

 

        En 2000, la Commission européenne a fait paraître un rapport sur le bien-être des poulets élevés pour la production de viande (SCAHAW 2000). Il y était souligné que de “nombreuses caractéristiques métaboliques et comportementales des poulets de chair avaient été modifiées par la sélection pour une croissance plus rapide et plus efficace et que la plupart des problèmes de bien-être observés chez ces animaux (troubles locomoteurs, ascites, syndrome de mort subite...) étaient directement liés à celle-ci”. En outre, le rapport montrait les problèmes lié au bien-être animal quant à la façon dont les poulets reproducteurs étaient élevés, en particulier en ce qui concerne les restrictions alimentaires et les restrictions d’espace (pour en savoir plus, rendez-vous sur l’onglet consacré aux techniques d’élevage des poulets de chair). La Commission européenne a ensuite demandé à l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) de produire deux avis scientifiques. Le premier concernait l’influence de la sélection génétique sur le bien-être des poulets de chair. Le second portait sur l’influence des conditions de logement et d’élevage sur le bien-être des reproducteurs de type parentaux et grand-parentaux.

        Le Conseil de l’Europe a donc émis une directive le 28 juin 2007 (directive 2007/43/CE) fixant des règles minimales relatives à la protection des poulets destinés à la production de viande. Il est reconnu que “la vitesse de croissance élevée des espèces de poulets actuellement utilisées à cette fin ne permet pas d’assurer aux animaux un niveau de bien-être et de santé satisfaisant”, et est indiquée la nécessité “d’établir, au niveau communautaire, des règles relatives à la protection des poulets destinés à la production de viande afin d’éviter des distorsions de concurrence”. L’article 3 donne les exigences applicables à l’élevage des poulets (par exemple “la densité d’élevage maximale dans une exploitation ou dans un poulailler d’une exploitation ne dépasse à aucun moment 33 kg/m2”) et l’article 6 indique que “sur la base d’un avis scientifique de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, la Commission soumet au Parlement européen et au Conseil, au plus tard le 31 décembre 2010, un rapport concernant l’influence des paramètres génétiques sur les irrégularités constatées, lesquelles nuisent au bien-être des poulets. Ce rapport peut être assorti, le cas échéant, de propositions législatives appropriées”.

 

       Un rapport de l'EFSA a, par conséquent, été publié en 2010 (AHAW 2010 a et b), suite à une expertise scientifique qui s’est déroulée de juin 2009 à juillet 2010. Il a mis en lumière que la plupart des problèmes de bien-être chez les poulets de chair sont multifactoriels, c’est-à-dire qu’ils résultent à la fois de facteurs génétiques et de facteurs liés à l’environnement et à la gestion de l’élevage. Cependant, il est précisé au début du rapport que certains problèmes, comme le syndrome de mort subite et l’ascite, les désordres squelettiques et la faible activité locomotrice, ou encore la faible tolérance au stress, sont reconnus comme étant principalement liés à la sélection génétique pour une croissance rapide et une production plus efficace.

       Ce rapport de l’EFSA à propos de la sélection génétique et du bien-être des poulets de chair donne quelques pistes de réflexion aux scientifiques et indique les besoins de recherche. Il recommande aux chercheurs en sélection génétique de concentrer celle-ci davantage sur les caractères “héritables” (dermatite de contact, ascite, syndrome de mort subite) plutôt que sur la vitesse de croissance du poulet. En effet, le rapport a mis en lumière le lien entre la sélection génétique et les désordres métaboliques. Ceux-ci génèreraient des troubles musculo-squelettiques, en particulier au niveau des pattes (anomalies de la démarche), mais aussi l’ascite et le syndrome de mort subite. Les génotypes actuels à croissance rapide pourraient ne pas avoir une digestibilité optimale avec comme conséquence des effets négatifs sur la qualité des litières (humidité) qui favorisent le développement des dermatites de contact. Les experts conseillent de prêter plus d’attention à ces conséquences néfastes et d’en faire un critère de sélection génétique primordial, plutôt que mettre au centre la vitesse de croissance. La responsabilité apparaît ici, du point de vue des experts, comme résultant d’une meilleure prise en compte du bien-être animal auquel la sélection génétique, telle qu’elle est effectuée, ne permet pas de répondre.

        Un autre critère de sélection serait celui de la sensibilité aux boiteries, auxquelles de nombreux facteurs contribuent. Il faudrait empêcher le développement de boiteries sévères. Par ailleurs, miser moins sur la vitesse de croissance ou même la limiter pourrait permettre de favoriser la capacité ou la motivation des poulets à se déplacer ou, encore, le confort thermique des animaux, et ainsi de responsabiliser la production de viande. C’est dans cette optique et dans le but d’améliorer le bien-être des poulets que les experts de l’EFSA recommandent de sélectionner et d’utiliser des lignées adaptées aux différents types d’environnements (ex : génotypes à croissance plus lente dans les régions chaudes) mais aussi des animaux à croissance faible requérant moins de restriction alimentaire. Chez les reproducteurs, le rapport a fait ressortir le rôle central de la restriction alimentaire qui génère de la faim et entraîne des agressions. Les principaux leviers d’action sont la réduction de la vitesse de croissance et le développement de nouvelles conduites d’alimentation.

 

       Nous avons pu également, lors de nos recherches, nous rendre compte qu’il existait une autre vision de la responsabilité, cristallisée par l’actualité de la recherche scientifique de l’INRA. Lors de notre visite au salon de l’agriculture, nous nous sommes rendus sur le stand de l’INRA. Une des personnes présentes sur le stand, avec qui nous nous sommes entretenus brièvement, nous a présenté l’actualité de leurs recherches, qui portent sur la sélection génétique des poulets. En effet, ils cherchent à trouver de nouveaux moyens de lutte contre les maladies pour rendre les animaux plus résistants et leur éviter l’administration d’antibiotiques. L’enjeu de ce travail, c’est d’obtenir des descendants qui soient porteurs de gènes de résistance à certaines maladies ou problèmes de santés courants rencontrés par les poulets de chair pendant leur phase d’élevage. Mais ce qui est intéressant, c’est que l’INRA travaille en fonction des problématiques qui font l’actualité, soulevées dans la sphère publique, et pour lesquelles un besoin de trouver des solutions émerge.

          Et voici que la question des antibiotiques s’est retrouvée dans les priorité des chercheurs. Elle est apparue progressivement comme problématique, puisqu’il a été soulevé dans les médias que l’administration de telles substances chez les animaux d’élevage était susceptible de provoquer une résistance aux antibiotiques pour le consommateur, qui trouverait ainsi des difficultés à se soigner en cas de maladie (pour plus d’informations, rendez vous à la rubrique “Consommation" de notre site). Cet enjeu a alerté les autorités étatiques — commanditaires de l’INRA — qui ont établi la nécessité qu’une recherche soit effectuée dans le but de rendre les races plus résistantes, afin d’obtenir un produit fini qui soit garant d’une qualité sanitaire optimale pour le consommateur. La responsabilité, pour ces parties prenantes, se constitue donc à l’égard du consommateur, pour lequel la sélection génétique doit apporter un gage de qualité sanitaire, à travers l’abandon des antibiotiques au profit de races plus résistantes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Poussins issus de croisements génétiques, qui donneront des poulets résistants,

ne nécessitant pas de traitement antibiotique.

Photographie prise sur le stand de l’INRA au Salon de l'Agriculture 2014 

 

        En France, c’est principalement l’Institut national de recherche agronomique (INRA) qui est chargé de la sélection des races. Au sein du programme GABI (Génétique Animale et Biologie Intégrative), on trouve différents groupes d’experts en la matière, notamment le G2B (Génétique et Génomique Bovine), qui a pour mission de développer, par la génétique, des outils et des savoirs permettant d’envisager l’élevage de manière durable. La notion de durabilité regroupe ici classiquement les aspects sociaux, économiques et environnementaux de l’élevage. Appartenant à un institut national, les chercheurs réalisent donc leurs travaux sous le mandat de l’Etat. De plus, ce type de recherche est généralement le fruit de la collaboration de plusieurs pôles de recherche, de manière à mutualiser les résultats et les sources. Par exemple, les programmes de recherche du G2B ont bien souvent pour point de départ les bases nationales de sélection animale.

     Les bases génétiques nationales proviennent du programme France Génétique Elevage, qui travaille en collaboration avec 70 000 exploitations, représentant un total de 4,9 millions d’animaux, toutes espèces confondues, pour constituer des bases de données génétiques représentatives. Les informations récoltées sont ainsi mises au service des experts en sélection génétique afin d’améliorer certains critères précis. On cherche ainsi à augmenter la productivité des animaux, ou encore à diminuer les coûts de production.

Illustrons ceci par la sélection des reproducteurs : 7 000 taureaux ont été conçus sur les caractéristiques et la descendance de leur géniteurs. On a donc sélectionné les meilleurs animaux de toutes les races, de manière à les faire se reproduire et à créer ces super-reproducteurs, capables d’apporter telle ou telle caractéristique en fécondant. Ces caractères — une viande plus tendre, des parties prisées surdéveloppées, ou encore une croissance rapide — sont donc développés selon la demande du reste de la chaîne de production de la viande, des éleveurs aux consommateurs. Ainsi, le programme Qualvigene du G2B cherchait à sélectionner génétiquement des animaux à la viande tendre, pour répondre à une demande du marché. 

 

          Historiquement, c’est suite à la directive nationale de 1962 que la sélection des espèces bovines a distingué les vaches laitières des vaches à viande. Des parties prenantes telles que L214 considèrent cette date comme un point de basculement. En effet, selon eux, la sélection génétique sur critères de reproduction est la porte ouverte à l’accroissement des problèmes de santé des animaux

 

 

       Ce type particulier d’élevage se fait dans des bâtiments dont le sol est ajouré pour permettre l’évacuation des déjections (excréments, urine et eau de lavage), ce qui permet des facilités de nettoyage pour l’éleveur (voir l’entretien avec Jean-Marc Courant, éleveur de porc à Lizio, Morbihan). Ce mélange de déjections, appelé “lisier”, s’évacue vers des fosses situées dans la partie basse des bâtiments.

source

 

Elles suivent ensuite un circuit jusqu’à des grandes cuves de stockage appelées “fosses à lisier”, situées à l’extérieur des bâtiments.

Il faut ajouter qu’une partie du travail de l’éleveur y est automatisée, comme le fait de nourrir les bêtes, puisque la nourriture y est distribuée par un automate à des heures régulières. Les porcs abattus issus des élevages sur caillebotis sont destinés à la grande distribution.

Exemple de caillebotis

Photographie prise lors de notre entretien

avec Jean-Michel Lamerant 

         L’élevage porcin est, sans nul doute, une des parties les plus importantes dans le  traitement de notre controverse. D’après FranceAgriMer, établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, dont la mission est l’application de la Politique Agricole Commune (PAC) et la réalisation de certaines actions nationales en faveur des filières, la viande porcine est la première viande consommée en France. Sur la consommation totale de viande par Français, celle de la viande porcine s’élève à 36,2% (source). C’est aussi un pan important de l’économie française, puisqu’il y a, dans la filière porcine, plus de 100 000 emplois, dont 13 000 sont des éleveurs (source). 50% des exploitations sont situées en Bretagne.

 

         Cette viande, issue d’animaux appelés “porcs charcutiers” âgés de six à sept mois — information que nous tenons d’un rapport de la Commission européenne de 2003 sur les différentes techniques d’élevage — est comestible dans son intégralité : toutes les parties du corps du cochon sont aptes à la consommation. Cela en fait un produit économique attractif pour les éleveurs, puisque tous les morceaux en sont commercialisés, que ce soit sous la forme de charcuterie, ou de viande blanche. C’est l’avis de Jean-Michel Lamerant, éleveur porcin dans le Nord, que nous avons rencontré : "si les scientifiques voulaient chercher à inventer une bête qui puisse fournir le meilleur ratio entre l’aliment que l’on donne à la bête et la viande que l’on en retire, ce serait le porc qui serait le système le plus abouti !". Mais c’est aussi un animal dont les conditions d’élevages sont fortement discutées, à cause des prix bas auxquels les produits sont vendus. D’après Djamel Djebbari, chef du Bureau des Viandes et des Productions Animales au sein de la DGPAAT, “sur la filière porcine, la production est standardisée, plutôt intensive, et alimente pour l’essentiel le marché de la charcuterie, qui constitue un marché où le consommateur a tendance à rechercher les prix bas. Il n’y a qu’à observer un rayon charcuterie dans une enseigne de la grande distribution, vous avez l’éventail de toute l’offre, du signe de qualité au standard, mais vous avez quand même la recherche du prix bas sur tous ces produits-là.” Quels sont les problèmes posés par cette standardisation de la production ? Par qui sont-ils portés ? Comment différentes visions de la responsabilité peuvent-elles apparaître ?

 

Précisons certains points de vocabulaire. L’arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protections des porcs, définit les termes suivants :

 

  • Porc : animal de l'espèce porcine, élevé pour la reproduction ou l'engraissement ;
  • Verrat : porc mâle pubère, destiné à la reproduction ;
  • Cochette : porc femelle pubère qui n'a pas encore mis bas ;
  • Truie : porc femelle après la première mise bas ;
  • Truie allaitante : porc femelle de la période périnatale jusqu'au sevrage des porcelets ;
  • Truie sèche et gravide : truie entre le moment du sevrage et la période périnatale ;
  • Porcelet : porc de la naissance au sevrage ;
  • Porc sevré : porcelet sevré, jusqu'à l'âge de dix semaines ;
  • Porc de production : porc depuis l'âge de dix semaines jusqu'au moment de l'abattage ou de la saillie.”

         Pour produire en quantité élevée, les exploitations d’élevage porcin sont en grande majorité des exploitations intensives, au sens du nombre d’animaux présents dans l’exploitation, très souvent supérieur à mille. La très grande majorité des élevages porcins français sont des élevages que l’on qualifie d’“hors sol”, car l’animal y est élevé en bâtiment et hors de son milieu naturel. Cela permet une réduction des prix, et une production moins dépendante des aléas climatiques, comme le signale Jocelyne Porcher dans son ouvrage Ne libérez pas les animaux. Les animaux y sont en nombre important, et sont élevés dans des surfaces réduites. L’élevage hors sol peut se scinder en deux catégories, qui donnent lieu à des définitions de l’élevage responsable différentes, puisqu’ils ne font pas appel à la même technicité. Il s’agit de l’élevage sur paille ou sur litière biologique maîtrisée, qui est utilisé par 5% des éleveurs, et de l’élevage sur caillebotis, qui représente à lui seul 90% des élevages de porcs, quand les 5% restants sont des éleveurs bio, ou utilisant des techniques alternatives (chiffres obtenus dans une brochure du Centre d’Information des Viandes (CIV) qui nous a été remise au Salon de l’Agriculture lors de notre visite sur le stand INAPORC). C’est à propos de l’élevage sur caillebotis qu’il y a le plus de prises de positions différentes et opposées, et que la responsabilité se trouve discutée de la manière la plus forte. C’est pour cela que nous faisons le choix de ne pas nous arrêter sur les autres techniques d’élevage.

 

Qu’est-ce que l’élevage sur caillebotis ?

 

 

  

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                      

 

       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        La première explication à propos du fonctionnement de l’élevage sur caillebotis que nous avons obtenu nous a été donnée par CIWF France, lors de notre visite au Salon de l’Agriculture. CIWF est une ONG internationale dont les positions nous intéressent, parce que le degré de radicalité de l’association est moindre. CIWF milite non pas pour l’interdiction totale de l’élevage, mais pour des pratiques respectueuses du bien-être animal chez les animaux d’élevage. L’élevage sur caillebotis nous a été décrit de manière négative : “les porcs sont parqués dans des cages très étroites, pour qu’ils ne puissent pas bouger et perdre d’énergie, et par conséquent, de la masse graisseuse”, nous a expliqué Léopoldine Charbonneaux, directrice de CIWF France.

      L’organisation de l’élevage hors sol, qu’il soit sur paille ou sur caillebotis, se fait sur le même modèle. Chaque étape de la vie du porc est répartie entre différents “blocs” (hangars) : ainsi les porcelets passent du bloc sevrage au bloc post sevrage, puis au bloc engraissement avant de quitter les lieux pour l’abattoir. Les truies se trouvent dans un bloc “gestation”. Elles sont inséminées artificiellement avec de la semence de verrat, qui provient parfois d’un verrat qui est présent sur l’exploitation et appartient aux éleveurs, ou qui peut avoir été achetée à l’extérieur, la bête étant choisie avec soin pour la qualité de la viande qu’elle pourrait produire (pour plus d’informations, rendez-vous sur l’onglet “Sélection génétique et reproduction de notre site). La période de gestation de la truie dure trois mois, trois semaines et trois jours, ce qui correspond à 115 jours en moyenne.

        Depuis une nouvelle réglementation de 2013, les truies passent une partie de leur gestation en groupe, durant quatre semaines, puis elles sont placées dans des “cases de mise bas” pendant environ trois semaines. Elles sont ainsi séparées de leurs petits afin d’éviter qu’elles ne les écrasent en se couchant, puisqu’il faut préciser que la modification génétique des espèces a fait des truies des “championnes de la naissance” mais des “bêtes peu maternelles” (propos recueillis sur le stand de CIWF au Salon de l’Agriculture).  En effet, dans ce type d’élevage, les truies ne sont pas sélectionnées pour leurs qualités maternelles, puisqu’il s’agit de mettre bas vite et bien, par opposition aux élevages biologiques ou en plein air, dans lesquels on fait très attention au choix de la femelle qui va mettre bas. Les objectifs de production de ces deux catégories d’élevages étant très différents, nous arrêterons ici la comparaison, puisqu’ils  empruntent aussi des circuits opposés, pour cibler des consommateurs différents. Ajoutons simplement que l’association L214, dont nous avons rencontré la co-fondatrice et porte-parole, n’est pas du tout d’accord avec les arguments de CIWF, estimant que ce n’est pas un problème de qualité maternelle qui pousse les truies à écraser leurs petits, mais simplement une question de place. Ces truies gestantes, c’est d’ailleurs ce que Brigitte Gothière a vu de pire lors de ses enquêtes de terrain : “elles ne pouvaient plus bouger : ni avancer, ni reculer. Elles venaient de mettre bas. Et c’était impossible qu’elles approchent leurs petits. Comment on a pu envisager un système pareil ? Comment on a pu être aussi tordus pour imaginer de mettre les bêtes dans de telles situations ?” (lire l’entretien en intégralité).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une “truie gestante” pendant l’allaitement 

Photographie prise en entretien

 

         Un roman, intitulé 180 jours, nous a été extrêmement utile pour comprendre le fonctionnement d’un élevage sur caillebotis. Bien que ce soit un roman, il est le fruit d’une enquête minutieuse de la part de son auteur, que le temps à notre disposition ne nous permettait pas de réaliser.  Isabelle Sorente y détaille le fonctionnement d’une exploitation porcine sur caillebotis, dont la production de viande par semaine est gigantesque. Cent quatre-vingt jours, cela correspond au temps moyen qui sépare la naissance de l’abattage d’un porc, laps de temps qui se déroule dans les différents bâtiments de l’élevage. L’auteur détaille l’expérience sociologique d’un professeur de philosophie, Martin Enders, qui fait une immersion dans un immense élevage porcin de 15 000 porcs, nommé La Source, situé dans une ville fictive du nom d’Ombre. Martin Enders s’y rend dans le but de recueillir des informations qui lui serviront à animer un séminaire sur l’animal. Ce roman, a priori fictif, est extrêmement réaliste du point de vue de la description de l’organisation spécifique de l’élevage porcin sur caillebotis, ce qui nous a été confirmé par CIWF. Mais cet ouvrage apporte aussi des précisions sur le quotidien d’un porcher qui a dédié sa vie aux animaux, son métier ayant transformé entièrement sa perception de la vie et sa manière d’être, et ayant imprimé en lui des séquelles ineffaçables. Tente-elle de faire comprendre à son lecteur que l’élevage sur caillebotis, en atteignant l’humain qui y travaille aussi profondément, échappe à toute tentative de rendre responsable ce type d’élevage ? Nous n’avons pas rencontré cette problématique lors de notre propre enquête, néanmoins il nous paraissait intéressant de la mentionner, pour contrebalancer les autres.

 

Responsabiliser l’élevage intensif porcin : les arguments relatifs à l’élevage sur paille ou litière bio-maîtrisée

 

          Selon Léopoldine Charbonneaux, certains aspects de l’élevage sur caillebotis posent problème et font que ce type d’élevage ne peut être considéré comme responsable. Cela tient surtout à des manquements au bien-être animal et à la protection de l’environnement. L’absence de “matières manipulables” dans les boxes des cochons - le fait qu’il n’y ait pas de paille - est un point problématique pour CIWF. Car le caillebotis intégral ne permet pas aux porcs d’assouvir leur instinct naturel, qui est de fouiller constamment le sol. S’ajoute à cela le fait qu’à la naissance, leurs queues sont coupées à vif, afin d’éviter les phénomènes de caudophagie : par manque de divertissement, les porcs peuvent avoir tendance à s’attaquer aux queues de leurs congénères pour les mâchouiller. CIWF avance aussi un autre argument en faveur de l’élevage sur paille, qui est d’ordre environnemental, puisqu’il apparaît que le lisier pollue plus lorsqu’il n’est pas mélangé à la paille. Ces mêmes arguments sont repris par l’association L214 (voir leurs images), même si pour cette association, améliorer cela ne rendrait pas l’élevage sur caillebotis responsable pour autant. Car leur combat va bien au-delà : il s’agit d’abolir l’élevage.  

 

         Pour les acteurs associatifs, l’élevage sur paille est déjà plus proche de la vision qu’ils se font d’un élevage responsable. Selon ces derniers, il faudrait donc progressivement délaisser le caillebotis au profit de la paille ou de la litière, pour respecter les besoins de l’animal. Mais à propos de l’élevage sur paille, le point de vue des éleveurs sur caillebotis s’oppose à celui des associations. Notons aussi que les arguments diffèrent en fonction de l’éleveur : "si demain on impose aux éleveurs d’avoir un élevage sur paille ou sur litière, qui va assurer qu’en fin d’engraissement, à cinq ou six mois, les litières seront toujours nickel et que les porcs ne baigneront pas dans leur fumier ? Les éleveurs qui font de la paille, quand ils ont des visites d’élevage, ils paillent leurs bâtiments la veille. Il y a bien une raison… C’est beaucoup plus vendeur. Donc dans l’image c’est peut-être plus sympa, mais en vrai je pense qu’on n’y gagnerait pas." exprime Jean-Marc Courant, éleveur de porcs Label Rouge en Bretagne. "Si tu choisis de mettre tes bêtes sur paille, il faudrait le noter en grand sur le bordereau de prélèvement, et les porcs vont être abattus tout à la fin de la journée, juste avant qu’ils nettoient la chaîne, parce qu’il y a beaucoup plus de soucis, de prolifération de germes. Moi je note bien sur mes bordereaux que ce sont des porcs hors sols, pour qu’ils puissent les intégrer à n’importe quel moment dans la chaîne d’abattage dans la journée. Si tu mets porcs paille, ils sont obligés de les mettre en fin de journée, car après ils lavent. Et donc ils attendent beaucoup plus longtemps à l’abattoir et sont plus stressés." rétorque quant à lui Jean-Michel Lamerant.

 

Quand la responsabilité s’exprime vis-à-vis du bien-être animal, du consommateur, et de l’éleveur : l’impossible conciliation ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Porcelets en phase d’engraissement 

Photographie prise en entretien

 

       La définition d’un élevage sur caillebotis responsable englobe aussi d’autres critères. D’après CIWF, l’élevage sur caillebotis gagnerait en responsabilisation s’il respectait les normes fixées par l’Union européenne en matière de bien-être animal, alors que pour L214, cela serait encore insuffisant. Cette réglementation, votée en 2001 et introduite en 2003, n’est toujours pas appliquée partout en France. Les exploitations avaient en effet jusqu’à la fin de l’année 2013 — le délai légal est de dix ans pour transposer une directive — pour se mettre aux normes, mais cela n’a pas été fait. Cela est expliqué par CIWF par la crise difficile que traverse la filière, à cause notamment des prix trop bas de la viande et des prix trop hauts des matières premières qui servent à nourrir les bêtes. En effet, depuis 2007, la production mondiale de céréales, nourriture principale des porcs, est insuffisante.

Les élevages français qui ne sont pas encore aux normes européennes font actuellement l’objet d’une procédure d’infraction. Mais ici encore les éleveurs ont une toute autre vision des choses. Pour certains, cette réglementation est vue comme peu contraignante et change essentiellement la phase de gestation, comme nous l’avons expliqué plus haut, puisque les truies peuvent désormais être en groupe. Cela est d’ailleurs perçu comme étant une "perte de performance" par certains éleveurs, comme Jean-Michel Courant, éleveur de porcs Label Rouge en Bretagne. En effet, les truies, en étant ensemble, se chatouillent, ce qui leur provoque des déclenchements embryonnaires, et une baisse de natalité. En outre, pour ce dernier, un élevage responsable n’a rien à voir avec l’application de la réglementation, ni même avec le cochon en tant qu’animal, mais a trait surtout au consommateur qui achète le produit fini et doit avoir des garanties de qualité sur la viande qu’il consomme. "Pour moi, la responsabilité serait par rapport au consommateur, dans la manière dont on produit ses animaux et le lien qu’il peut y avoir derrière avec le consommateur", a-t-il expliqué lors de l’entretien.

 

        Notons aussi que l’élevage sur caillebotis est fermement défendu par l’interprofession porcine, INAPORC. D’après Rachel Rivière, responsable de communication au sein de ce regroupement des professionnels du porc, que nous avons rencontrée lors de notre visite au Salon de l’Agriculture, la pratique de l’élevage sur caillebotis a tout d’une pratique responsable, dans la mesure où le caillebotis simplifie le travail de l’éleveur, alors qu’un élevage sur paille est à l’inverse très fatiguant et lui ajoute du travail supplémentaire. Pour cette dernière, la responsabilité d’un élevage peut se voir non à travers la technique choisie, mais elle viendrait surtout de l’éleveur et de la manière dont il s’occupe de ses bêtes. Et l’élevage sur caillebottis est d’autant plus responsable qu’un travail a été fait sur l’utilisation du lisier, pour contrebalancer les critiques environnementales. "Aujourd’hui il y a des nouvelles techniques, une nouvelle réglementation concernant l’utilisation du lisier, ce les éleveurs sont plus performants sur cette utilisation". Ainsi, elle s’oppose à CIWF, puisqu’elle ne considère pas que le lisier pollue plus lorsqu’il n’est pas mélangé à de la paille. "C’est un engrais naturel", a t-elle ajouté. Sa définition d’un élevage responsable englobe deux aspects, qui sont l’environnement et le respect pour le travail de l’éleveur. En naviguant sur le site Internet d’INAPORC, nous avons pu constater que la vision de la responsabilité de l’interprofession porcine dépassait très largement ces deux points, pour se construire tout au long des différentes étapes de la filière, incluant des questions économiques, comme la création d’emploi, des questions écologiques relatives à l’utilisation des lisiers et des politiques de gestion des odeurs pour préserver la qualité de l’air, ainsi que par une démarche engagée en terme de qualité de viande, avec une valorisation de la production française et un contrôle régulier par des organismes certifiés.

 

Responsabilité et protection de l’environnement

 

         Nous remarquons que l’aspect écologique est un point sur lequel les différents acteurs de cette controverse interviennent de manière régulière, et dont une meilleure prise en compte permet d’aller vers une responsabilisation de l’élevage sur caillebotis. C’est en effet un aspect présent depuis quelques temps dans l’arène médiatique, et qui fait l’objet d’un véritable combat de la part des écologistes. En Bretagne, où l'élevage intensif de porc est extrêmement présent, il a été établi par l’INRS - Institut National de la Recherche Scientifique - que le lisier des animaux rejette du phosphore et du nitrate dans les cours d'eau, et serait responsable de la prolifération des algues vertes sur les plages. Ces dernières, une fois sèches, sont extrêmement nocives. Elles ont notamment tué un cheval qui se promenait sur une plage remplie d'algues vertes en 2009, son cavalier ayant été sauvé in extremis (source).

 

        L’Union européenne a donc imposé une réglementation sur l’utilisation du lisier, qui implique que l’épandage ne dépasse pas cent soixante-dix unités d’azotes à l’hectare provenant des déjections animales. Et cela peut donner lieu à des contrôles stricts, provenant de onze organismes différents. Mais certains éleveurs ne sont pas d’accord avec cette réglementation. C’est le cas de Jean-Michel Lamerant, éleveur porcin à Fleurbaix, dans le Nord-Pas-de-Calais, qui nous a confié à propos du lisier : "ça pollue si c’est mal fait, mal dosé, mais sinon c’est un engrais naturel, qui n’est pas chimique. Le composte est plus polluant. Mais ça dans la tête des gens, c’est bien d’avoir du composte au bout du jardin. Alors que c’est ce qu’il y a de pire, le protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre." "C’est plus une question d’image, le porc a été toujours la cible. Il y a eu un problème, si tu te souviens, d’un cheval mort dans la baie de Bretagne, à cause des algues qui étaient soi-disant le résultat de tous les élevages de porcs à proximité. Sauf qu’ils n’ont jamais précisé qu’il y avait une usine de traitement des eaux qui était beaucoup plus proche. Mais la cible sera toujours l’éleveur." Alors, Jean-Michel Lamerant a choisi de ne pas respecter cette réglementation, en utilisant des féveroles qui sont des protéagineux qui n’ont pas besoin d’apport extérieur. Ils vont diminuer la quantité d’engrais, ce qui fait qu’il va pouvoir en utiliser plus sur son maïs, et il a constaté un impact très positif sur sa production. "Même si parfois je suis administrativement hors la loi, je m’estime être plus responsable dans mes choix. Moi, je vois ma responsabilité comme le fait d’être auto-suffisant", nous a-t-il expliqué.

        Selon cet éleveur, la responsabilité de l’élevage porcin envers l’environnement pourrait même aller plus loin. En effet , il explique qu’"une truie et l’ensemble des porcelets qu’elle produit, ça fait une tonne équivalent au pétrole en niveau méthane. Ce sont des déjections qui sont extrêmement faciles à mettre en gaz pauvre." L’élevage porcin peut-il représenter une alternative aux modes de production d’électricité ? "En France, ils en parlent beaucoup, mais le seuil minimum pour que tu puisses faire une usine à gaz pour produire l’électricité c’est 400 000€. Avec ce qu’on a ici, on pourrait chauffer et produire assez d’électricité pour toutes les maisons qui sont autour sans aucun souci. En Allemagne ils font des petites unités." Ce qu’il veut dire par là, c’est que chez nos voisins allemands, il est possible d’installer des usines de taille plus petite, ce qui nécessite au préalable moins de fonds financiers . "En France les usines de méthane c’est anecdotique. Tu vas produire une unité de méthane, en Allemagne les voisins vont être super contents d’avoir l’électricité à bas prix, avec le système d’électrogène, en France, il va falloir que tu fasses 2 ans de procédure, mais les voisins risquent de se regrouper en disant « on ne veut pas d’un truc qui risque de nous exploser à la figure ». Je ne sais pas si tu vois un peu les images de l’un par rapport à l’autre". Un peu plus tard dans l’entretien, il explique le fonctionnement de telles installations : "en Allemagne tu as des petits élevages au centre du village. Et donc il y a des élevages de porcs, tu n’as pas d’odeurs étant donné que tu peux faire des pièges à odeurs et des systèmes de lavage d’air. Et ils arrivent à produire suffisamment de gaz pour alimenter une partie du village, faire chauffer les bâtiments de l’école et alimenter la petite piscine à côté. C’est sympa non ? Cela pourrait être l’avenir. Mais en France les gens ne le voient pas de cette manière. C’est un vieux problème sociétal."




 

          La France possède le cheptel bovin le plus important d’Europe, composé de deux troupeaux bien spécifiques. Le premier, qui occupe une place importante dans l’élevage bovin français, est reconnu pour son aptitude à fournir de la viande ; il est appelé troupeau des races à viande ou troupeau allaitant car il est composé de races à viande dont les femelles allaitent leurs petits. Le second, qui a vocation à produire du lait, est appelé troupeau laitier. La viande bovine consommée sur notre territoire est issue de ces deux troupeaux (propos recueillis sur le stand Interbev au salon de l’Agriculture 2014). Dans le cadre de notre étude, nous nous intéresserons néanmoins plutôt à l’élevage bovin dit des races à viande. Il faut savoir que la consommation de viande bovine en France s’élève à 29,8%, ce qui en fait la deuxième viande la plus consommée, après le porc (d’après le rapport du Sénat n°787 fait “au nom de la mission commune d’information sur la filière viande en France et en Europe”). Il faut aussi préciser que c’est en regardant les chiffres de la consommation de viande bovine que l’on constate la baisse la plus flagrante. En effet, la consommation de viande bovine par habitant est aujourd’hui de 24,3 kg par an, soit 4,7 kg de moins qu’en 1970. Entre 2003 et 2011, cette consommation a connu une baisse comprise entre -13% et -16%. La diminution de la consommation est particulièrement nette chez les moins de 35 ans, dont la consommation de viande bovine se réduit le plus souvent à celle de steaks hachés.

           On distingue cinq types de bêtes : les vaches, les génisses (vaches qui n’ont pas encore mis bas), les veaux (petits bovins qui ne sont pas encore sevrés ni engraissés), les jeunes bovins (veaux sevrés en phase d’engraissement) et enfin les boeufs. Étant donné que l’élevage bovin se fait essentiellement de manière extensive, c’est-à-dire en extérieur, comme cela nous a été confirmé par les entretiens que nous avons pu mener, nous avons choisi de nous intéresser aux races culardes, qui condensent de nombreux enjeux fortement discutés.

 

Le succès des races culardes : quand la généralisation d’une anomalie génétique divise

 

         Différentes races sont utilisées par les éleveurs qui produisent de la viande. Dans les années 1970 se sont développées les races dites “culardes” en raison de leur hypertrophie musculaire, leurs os plus fins et la meilleure valorisation qu’ils font du fourrage. Parmi ces races, la Blanc-bleu-belge s’impose avec succès dans le Nord de l’Europe et jusqu’à certaines régions de France. Cependant, dans les pays plus au Sud, on trouve des races plus traditionnelles comme la Salers, la Charolaise, la Limousine, la Blonde d’Aquitaine. Les avantages des races culardes ne se limitent pas à leur productivité : ce sont des viandes très peu grasses, très goûteuses, facile à découper, et sur lesquelles on peut faire de la première catégorie jusque dans le collier, comme nous l’a confié Benoît Couthier, éleveur bovin, lors de notre entretien. Elles sont en outre très agréables à travailler pour l’éleveur car de tempérament docile. Cependant, elles posent certains problèmes : ce sont par exemple, d’après Pierre Frankinet, vétérinaire nutritionniste, des races assez fragiles, notamment chez les veaux qui ont besoin d’une attention constante.

 

           Pour certains acteurs, ces difficultés sont en réalité des non-problèmes, comme l’explique Pierre Frankinet, vétérinaire nutritionniste à Liège (Belgique) : “si on prend le taux de mortalité global en bovin, c'est 2% avec la césarienne, tandis qu'avec les races limousine, charolaise, etc, ça fluctue entre 12 et 17%. Il y a plus de mortalité avec les accouchements naturels qu'avec les accouchements par césarienne. Le taux de cortisol (l'hormone du stress) des veaux qui naissent par césarienne est beaucoup plus faible, même parfois trop. Si on veut qu'un veau ait une bonne activité cardio-respiratoire à la naissance, on peut toujours le pendre, comme on fait avec les bébés, pour dégager les voies respiratoires supérieures. Vous savez, en Belgique, plus de 50% des enfants naissent par césarienne... Les césariennes, c'est un faux problème”.

 

        Les races culardes sont intensives par excellence, car ce sont celles qui produisent le plus de viande et exploitent le mieux le fourrage qu’elles ingèrent. L’intensivité de l’élevage en bovins ne se mesure donc pas par la densité d’animaux au m², mais par le rendement et la quantité de viande produite au m².

 

        Le choix de la race par les éleveurs se fait en fonction de plusieurs critères, notamment les préférences des consommateurs : les Belges mangent plus volontiers du mâle, les Français de la femelle car sa viande est plus rouge. Et leur goût diffèrent quant à la tendreté, la couleur, la puissance du goût. C’est la raison pour laquelle les Blanc-bleu-belges ne s’imposent pas en France (surtout les mâles), en dehors des régions très au Nord. Plus un bovin mange de fibres (herbes, céréales), plus sa viande devient rouge. En France, les mâles sont davantage destinés à l’export.

 

        Les éleveurs s’occupent de faire naître les animaux, les soignent, suivent leur engraissement jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge et le poids suffisant pour être menés à l’abattoir. Le travail de l’éleveur à la naissance est primordial pour éviter une mortalité de la mère ou du veau, comme l’explique Benoît Couthier : “c'est important qu'on soit là pour surveiller les vaches pleines, et les aider quand elles mettent bas, parce que parfois elles ne peuvent pas accoucher toutes seules et le veau meurt. On a perdu beaucoup de veaux parce qu'on n'était pas là lors de la naissance.

 

           Selon Benoît Couthier, il est de plus en plus possible de vivre de petites exploitations : “Avant, des personnes vivaient avec cinquante hectares avec un revenu convenable, aujourd'hui ce n'est plus possible (avec la mécanisation et tout ça...). Les charges sont tellement importantes qu'on est obligés d'avoir de grosses exploitations.” En France, les élevages bovins possèdent autour de cent vingt, cent trente têtes, et leur taille se situe en moyenne autour de cinquante, soixante hectares, comme nous l’ont appris les entretiens menés avec Benoît Couthier et Etienne Guérin.

 

Les critiques des écologistes : un lourd impact sur l’environnement

 

           L’élevage bovin soulève cependant des critiques variées. Les écologistes reprochent par exemple les méfaits sur l’environnement. Pour les explications qui suivent, nous nous basons principalement sur le rapport de la FAO L’Ombre portée de l’élevage, publié en 2006, ainsi que L’Atlas de la viande, publié en janvier 2014 par l’association Friends of the Earth. Selon l’association L214, l’élevage de bovins est le plus gourmand en eau : 15 500 litres seraient nécessaires pour produire 1 kg de viande de boeuf, si l’on en croit cette infographie :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       Les associations écologistes dénoncent également les émissions de gaz à effet de serre que produisent les vaches destinées à la consommation. Selon le rapport de la FAO, 15% des émissions seraient imputables à l’élevage, contre 13% pour les transports. Or, les ruminants seraient les principaux responsables, puisque en plus de constituer des élevages énergivores, leur processus digestif génère du méthane, très nocif en matière de réchauffement climatique. Depuis 2006, des progrès ont été faits, et en 2009 l’association a toutefois revu ce chiffre à la baisse. Toutefois, de nouveaux projets comme la ferme des mille vaches ravivent les critiques des écologistes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Selon Greenpeace, l’élevage bovin serait responsable de perte de 80% de la forêt amazonienne. De nombreuses associations déplorent aussi le système de subventions mises en place par les membres de l’OCDE : elles s’élèvent à 13 milliards pour l’élevage bovin, la majeure partie de ces fonds étant reversée aux plus grosses exploitations et aux grands groupes agro-alimentaires (JBS au Brésil, Tysonfoods et Cargill aux USA). Enfin, ils dénoncent l’appauvrissement de la biodiversité au profit d’espèces standardisées comme la Blanc-bleu-belge.

 

           La nature des acteurs à l’origine de ces publications est intéressante à souligner : si l’on retrouve en tête de la critique des associations écologistes, dont le parti-pris est indéniable, elles sont rejointes par des organismes plus indépendants, telle la FAO, organisme des Nations Unies dont  l’objectif est la sécurité alimentaire et la gestion durable des ressources naturelles. Leurs trois derniers rapports datent de septembre 2013 : Greenhouse Gas Emissions from Pig and Chicken Supply Chains - A Global Life Cycle Assessment ; Greenhouse Gas Emissions from Ruminant Supply Chains - A Global Life Cycle Assessment ; Tackling climate change through livestock: A global assessment of emissions and mitigation opportunities. Ces derniers rapports pointent les progrès qui ont été réalisés ces dernières années en matière d’écologie. C’est également l’argument repris par les industriels de la viande, qui souhaitent également montrer les commentaires positifs réalisés à l’égard de l’élevage européen. C’est là que se situe la principale différence entre l’industrie et les associations écologiques : les premiers mettent l’accent sur les progrès et l’investissement de la filière en matière d’écologie là où les seconds pointent les dérives croissantes, et les risques provoqués par l’augmentation de la population mondiale et l’accès à la viande d’un nombre toujours plus nombreux de personnes. Pour les associations écologistes, qui placent la responsabilité du côté de l’environnement, le système de l’élevage tel qu’il est organisé aujourd’hui n’est pas viable à long-terme.

 

           Certains acteurs remettent en cause les critiques des associations citées ci-dessus en les accusant d’être biaisées. Pierre Frankinet nous explique par exemple que le chiffre extraordinaire de 15 500 litres d’eau nécessaires à la production d’1kg de viande de boeuf s’explique tout simplement par la grande quantité d’eau contenue dans l’herbe, composant numéro un de l’alimentation des bovins. Autrement dit, il ne s’agit pas d’eau pompée au détriment des êtres humains, mais d’un élément naturellement contenu dans l’herbe. Pour lui, l’aspect choquant de ces chiffres disparaîtrait si ceux qui les fournissent donnaient l’ensemble des informations. De même, Djamel Debbari, responsable du bureau des viandes et des productions animales spécialisées (sous direction des produits et marchés) à la DGPAAT du Ministère de l’Agriculture, nous affirme que : “le même rapport est sorti en 2012 et rectifie, l’analyse était erronée. [...] ce qu’ils disent dans le deuxième rapport, qui n’était pas dans la première analyse, c’est que vous ne pouvez pas prendre une analyse purement sur les aspects négatifs de l’élevage. Vous avez tous les aspects des puits carbones : les prairies, elles-mêmes, sont des puits carbone. C’est un bilan positif-négatif qu’il faut prendre. Or, pour l’élevage, c’était un peu un procès à charge, on a pris tous les aspects négatifs des ruminants, et on a occulté ce qu’elle pouvait dégager de positif en matière environnementale. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’impact des ruminants sur les gaz à effet de serre, je dis juste que simplement, entre le rapport de 2006 et aujourd’hui, cela a été dévastateur de la filière”. Ce dernier a aussi ajouté que sans élevage, certaines zones de France auraient été désertées, car l’élevage permet l’entretien du territoire.

 

Les questions soulevées par l’élevage des veaux

 

          Comme pour toutes les femelles de mammifères, la naissance d’un veau par an est nécessaire pour déclencher la production de lait. Dans les élevages laitiers, tout le lait produit par les vaches est collecté pour la consommation humaine. Par conséquent, un éleveur spécialisé dans la production de lait ne peut pas garder tous les veaux. Après leur naissance, les veaux boivent le colostrum (premier lait riche en anticorps maternels) qui les protègent contre diverses infections. L’éleveur laitier va ensuite choisir les jeunes femelles qu’il garde pour le renouvellement du troupeau  (chaque année entre 20 et 30% des veaux nés sur son exploitation). Ainsi, le plus souvent, il vend les autres veaux. Ces derniers vont alors être élevés dans des élevages spécialisés, 70% d’entre eux comme veaux de boucherie, et 30% pour donner de la viande rouge (jeunes bovins de boucherie, génisses, boeuf).

 

         Dans les élevages de races à viande (Blonde d’Aquitaine, Charolaise, Limousine…), les veaux tètent le lait de leur mère jusqu’au sevrage. 4% d’entre eux sont élevés comme veaux de boucherie. C’est la production dite de “veaux sous la mère”. Plus de 60% des autres veaux sont élevés plus longtemps pour donner de la viande rouge, et près de 30% sont destinés à la reproduction (vaches, taureaux). Les veaux “sous la mère” représentent un peu moins de 10% de la production annuelle de viande de boucherie. On les trouve dans le Sud Ouest de la France (Aquitaine, Limousin, Midi-Pyrénées).

 

     Dans les ateliers spécialisés est accueillie la grande majorité des veaux de boucherie, essentiellement issus du troupeau laitier. De nombreux éleveurs se sont spécialisés dans ce mode d’élevage qui demande une “grande technicité”. Ces élevages sont présents majoritairement en Normandie, en Bretagne et en Pays de Loire. Les veaux sont nourris avec un aliment d’allaitement en poudre, composé de produits laitiers (60 à 75%), de matière grasse (16 à 22%), de protéines végétales (0 à 12%), d’amidon (1 à 3%), d’un complément minéral et vitaminé (1 à 3%). On compte 6000 ateliers de 25 places, qui fournissent près de 85% de la production annuelle de viande de boucherie.

 

        La législation européenne encadre l’élevage des veaux. La directive 2008/119/CE du Conseil établit les normes relatives à leur protection : on y lit notamment que “les cases doivent être conçues de sorte que chaque veau puisse s’étendre, se reposer, se relever et faire sa toilette sans difficulté. À partir de l’âge de huit semaines, les cases individuelles sont interdites, sauf en cas de maladie. Cette mesure se justifie par la nature grégaire des bovins. Avant huit semaines, les cases individuelles sont autorisées. Elles sont constituées de parois ajourées permettant le contact visuel et tactile entre les veaux. Les murs en dur ne peuvent être utilisés que pour isoler les animaux malades du reste du troupeau.

 

        Selon INTERBEV, la responsabilité de ce type d’élevage se manifeste en ce que “l’éleveur a conçu les bâtiments d’élevage pour assurer le confort des veaux. Ainsi, par exemple, la température est contrôlée et les bâtiments peuvent être chauffés en hiver.” Un système d’aération est conçu pour éviter les mauvaises odeurs et l’accumulation de gaz provenant des déjections. L’éleveur veille aussi à éviter les courants d’air qui seraient susceptibles de fragiliser les veaux et de les rendre plus sensibles aux maladies respiratoires. L’éclairage artificiel suit l’alternance du jour et de la nuit. Le sol est soit recouvert d’une litière, le plus souvent de la paille, soit formé d’un caillebotis (sol ajouré en bois ou en béton, qui permet l’écoulement des déjections et de l’urine vers une fosse de stockage). Après le départ d’un groupe de veaux à la fin de leur période d’engraissement, le bâtiment est intégralement nettoyé et désinfecté. Il reste vide quelques jours avant l’accueil d’un nouveau groupe d’animaux (“vide sanitaire”) : ce système permet d’éviter la transmission de maladies. Un contrôle des substances interdites par la législation vétérinaire à l’échelon européen (administration de substances anabolisantes comme les hormones, apport dans le lait bu par les veaux d’activateurs de croissance comme certains antibiotiques) est effectué régulièrement par les services de contrôle officiels : recherche des substances interdites en laboratoire, à partir de prélèvement de poils ou d’urine (on remarque cependant qu’il n’y a aucune indication de la fréquence de ces contrôles sur la brochure).

 

Responsabilité et bien-être animal

 

L’élevage des veaux de boucherie fait l’objet de beaucoup d’actions de la part des associations de défense des animaux, notamment l’association One Voice. En effet, il était anciennement appelé “veau en batterie”. C’est une pratique d’élevage similaire à celle des poules pondeuses et des porcelets. Élevés en intérieur et n’étant jamais en contact avec l’extérieur, les veaux de batterie sont très nombreux dans de petits espaces, et cela va contre la définition d’un élevage responsable telle qu’elle est pensée par les associations de défense de la cause animale. Si cette pratique est aujourd’hui interdite, avant 2004 les veaux étaient mis dans des loges séparées, à peine plus grandes qu’eux, et ils étaient souvent attaché. Au bout de quinze jours, ils ne pouvaient plus se retourner faute de place (de cette manière les muscles du veau ne pouvaient pas se développer, ce qui était mieux pour la tendreté de la chair).

 

        Cependant, en dehors des critiques adressées à l’égard des élevages de veaux, les critiques tendent à être moins virulentes sur l’élevage bovin que sur les porcs où les volailles (si l’on omet les acteurs anti-spécistes pour qui toute domestication des animaux est à proscrire). En effet, l’élevage bovin est encore très peu intensifié, sauf dans le Nord de l’Europe : il n’y a pas d’élevage hors sol, des contrôles drastiques sont faits en matière de consommation d’antibiotiques. Par ailleurs, les éleveurs s’accordent sur l’importance du bien-être animal, notamment parce qu’il est indispensable à la production d’une viande de qualité. Selon Pierre Frankinet, “si vous voulez de la performance, vous êtes condamné au bien-être. Si je prend l'exemple d'une vache laitière, si elle n'est pas couchée suffisamment dans sa journée, il y a 20% de sang qui passe en moins dans sa mamelle, donc la production laitière est inférieure. Donc si la vache est entravée dans son déplacement, si elle ne mange pas suffisamment, la conversion de son alimentation en lait sera mauvaise”. L’exemple qu’il utilise ici pour parler du lait se retrouve de la même manière dans la viande.

 

         En France, les mâles sont abattus en-dessous de vingt-quatre mois, contre sept ans pour les femelles. Cependant ces données varient en fonction des spécificités de chaque animal : si un mâle est un bon reproducteur, il pourra par exemple vivre plus longtemps. Dans certains cas, c’est l’éleveur qui mène lui-même ses bêtes à l’abattoir, dans d’autres cas ce sont des marchands ou des bouchers qui s’en chargent.

 



 

          Si nous avons choisi d’approfondir nos réflexions autour de l’élevage de volailles, c’est parce que, d’après un rapport de la Commission européenne de juillet 2003, la France est le premier producteur de viande de volaille dans l’Union européenne. La part française dans la production européenne s’élève en effet à 26 %. Cette production est en augmentation depuis 1991, ce qui montre que l’intérêt du consommateur pour ce produit est élevé. En France, le poulet est aujourd’hui la deuxième viande la plus consommée, après le porc, et avant le boeuf. Nous en mangeons en moyenne 115 kilos par an (chiffres issus du reportage de Capital diffusé sur M6, le 6 avril 2014). Ces trois dernières années, cette consommation a fortement augmenté, jusqu’à être multipliée par trois. Un reportage diffusé le 7 mai 2014 sur D8, intitulé En quête d’actualité : Faut-il se méfier de nos aliments préférés ?, revient sur les processus de fabrication du poulet vendu dans la grande distribution. Il y est expliqué que cette augmentation de la consommation est concomitante à la crise économique, parce que le poulet est vendu à des prix de plus en plus attractifs. Néanmoins, une commercialisation à des prix bas implique une technique d’élevage spécifique visant à réduire au maximum les coûts. Ainsi, sur 740 millions de poulets élevés chaque année en France, 80% le sont dans des structures dites “intensives”, afin de produire aux prix les plus bas possibles (chiffres CIWF). Quelle est donc cette technique ? Quels problèmes soulève-t-elle ? Comment les éleveurs qui y font appel établissent leur propre vision de la responsabilité ?

 

     Cependant, une partie des volailles commercialisées en grande surface ainsi que dans des commerces spécialisés tels que les boucheries-volailleries, sont vendues plus cher. Ces poulets de chair sont élevées dans des conditions différentes, obéissant souvent au cahier des charges d’un signe de qualité, qu’il s’agisse du Label Rouge ou de l’agriculture biologique. Là apparaît une technique d’élevage qui s’oppose à la première : les objectifs de production et de rentabilité n’étant pas les mêmes, la responsabilité s’explique alors de manière différente. Mais comment ces deux visions de la responsabilité, propres à deux techniques d’élevages différentes, s’expliquent-elles ? Comment sont-elles construites ? Par qui sont-elles portées ?

 

        Avant d’y répondre, précisons simplement, en nous appuyant sur le rapport de la Commission européenne de 2003, que , contrairement aux poules pondeuses sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir, les poulets de chair ne sont généralement pas élevés en cage, bien que des systèmes d’élevage en batterie existent.

 

La responsabilité dans l’élevage intensif de poulets de chair

 

         Penchons-nous tout d’abord sur l’élevage dit “intensif” de volailles. Cette technique d’élevage va de pair avec la recherche permanente du prix bas, phénomène qui est à son apogée en période de crise, telle que nous la vivons aujourd’hui. Cette course folle aux petits prix a commencé il y a une soixantaine d’années : après la Seconde Guerre mondiale, en 1945, l’Etat crée l’INRA, dans l’objectif augmenter la productivité de l’agriculture. L’institut construit des poulaillers, dans lesquels les scientifiques font des croisements et finissent par créer une espèce "vedette" : une petite poule qui produit beaucoup de viande en très peu de temps (pour plus d’informations, rendez vous sur l’onglet "Sélection génétique et reproduction" du site).

Ce sont les industriels qui ont demandé ce poulet à croissance rapide sélectionné génétiquement, car il est plus rentable.

         Nous n’avons pas eu la possibilité de rencontrer d’éleveur de volailles. Ainsi, nous prendrons pour exemple ce que nous avons vu dans le reportage de D8 que nous mentionnions en introduction, car les journalistes remontent la chaîne de production de la volaille vendue en grande surface, et visitent une exploitation. Cette exploitation est une exploitation industrielle. On nous présente un immense hangar, qui peut contenir jusqu’à quatre mille animaux. Ces animaux sont en  liberté sur de la litière - par liberté, nous entendons qu’ils sont libres de leurs mouvements, et non en cage. Les bêtes que nous découvrons à l’écran ont une vingtaine de jours. La première préoccupation de Julie, l’éleveuse, est que ses poulets soient en bonne santé. Elle vérifie donc dès que possible l’état de leurs ailes, ainsi que leur poids. Car il ne faut jamais perdre de vue l’objectif principal de ce type d’exploitation, qui est d’obtenir une croissance rapide. Pour obtenir ce résultat, nous apprenons que la première condition requise, c’est d’être extrêmement attentif à la température, car une bonne température est le gage d’un poulet en bonne santé. La structure a donc besoin d’équipements modernes, tels que la climatisation. Une grosse machine ouvre et ferme automatiquement les volets extérieurs. L’autre élément clef, c’est la nourriture. Les volailles doivent pouvoir se gaver 24h/24, sans interruption. C’est grâce à leur nourriture que les poulets industriels ont une croissance si rapide, puisqu’ils atteignent leur taille adulte en cinquante-six jours, ce qui est deux fois plus rapide que dans un élevage extensif (pour en savoir plus, rendez vous sur l’onglet “Alimentation animale" du site).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Exemple d’un élevage intensif de poulets de chair (source)

 

         Lorsque l’on est éleveur industriel, ils s’agit de produire vite, et beaucoup. Aussi tout le dispositif est pensé pour que les coûts soient faibles, tout en garantissant que le consommateur final puisse avoir un produit qui répond à ses attentes. La responsabilité semblerait à première vue s’exprimer vis-à-vis du consommateur, mais c’est une vision de la responsabilité qui fait entrer la variable “prix” dans la manière dont elle se définit : il s’agit de produire une viande peu chère, et donc accessible à tous. Mais, pour pouvoir vendre ses bêtes à l’intermédiaire qui se charge de les emmener à l’abattoir, l’éleveur doit pouvoir lui présenter des animaux en bonne santé. Ainsi, le bien-être animal doit être surveillé, et l’Union Européenne en a même fait une priorité dans ce type d’élevage, faisant entrer cette caractéristique dans la définition de la responsabilité d’un élevage industriel. C’est l’arrêté ministériel du 28 juin 2010, établissant les normes minimales relatives à la protection des poulets destinés à la production de viande qui transpose, en France, la directive européenne 2007/43/CE visant à assurer un niveau minimum de bien-être pour les poulets de chair produits en Europe. Cette réglementation s’applique aux élevages de plus de 500 poulets de chair classiques, certifiés (ce qui signifie système intensif), en privilégiant un équilibre entre les différents aspects à prendre en considération en matière de bien-être et de santé des animaux. Il s’agit d’une part des aspects économiques et sociaux, et d’autre part de l’incidence sur l’environnement. La notion de progrès sur ces différents points est privilégiée. Elle fait appel à la formation des éleveurs, au suivi technique et sanitaire des lots ainsi qu’à l’adaptation et l’entretien des équipements.

Pourtant, lorsque l’on lit la description de ce type d’élevage sur le site de CIWF, on y trouve les propos suivants : “Le lendemain de l’éclosion, les poussins se retrouvent dans d’énormes poulaillers sans fenêtre qui peuvent renfermer jusqu’à 40 000 individus. Et plus ils grandissent, plus leurs conditions de vie se dégradent. Cette surpopulation provoque de sérieux problèmes de bien-être et les poulets souffrent de nombreuses pathologies. Privés d’exercice essentiel pour le développement osseux, ils souffrent souvent de problèmes de locomotion. La litière n’est généralement pas changée durant la durée de vie des animaux et devient progressivement humide et chargée en ammoniac provenant des excréments. Le contact prolongé avec cette litière provoque souvent des inflammations cutanées chez les poulets.” (source). Le rythme de croissance est aussi pointé du doigt par cette association de défense de la cause animale dans les animaux d’élevages : “Ce rythme rapide est souvent associé à des problèmes de locomotion et des problèmes cardiovasculaires et respiratoires : le muscle grandit rapidement mais pas la structure des pattes, du cœur et des poumons. Des millions de poulets de chair souffrent de douloureuses déformations des pattes voire de paralysie ; ne pouvant se déplacer jusqu’aux mangeoires, certains meurent de faim ou de soif. D’autres meurent de problèmes cardiaques avant même d’atteindre leur âge d’abattage.” Pour que l’élevage intensif de poulets de chair soit responsable, il s’agirait, selon CIWF, de respecter l’animal : le préserver des maladies, lui permettre de se déplacer, ralentir sa croissance pour ne pas qu’il souffre de problèmes de locomotion, seraient déjà le début d’une quête vers une meilleure responsabilisation de ce système d’élevage. L’association L214, en réalisant plusieurs enquêtes dans les exploitations intensives, a rendu publiques les conditions d’élevage dont les poulets font l’objet. Ces vidéos ont été postées sur leur site internet à l’occasion du Salon de l’Agriculture de 2011, dans le but d’alerter les consciences de la population française, et de les sensibiliser à la question du bien-être animal (source).          Là démarre un conflit éthique qu’il est difficile de résoudre : des prix bas ne permettent pas, pour les industriels, de remplir les conditions pour lesquelles les associations de défense de la cause animale militent. Le problème étant que tant que le consommateur recherche les prix les plus bas, il ne peut y avoir de véritable amélioration de ce système. Cela nous a été confirmé par deux membres de la Direction Générale des Politiques Agricoles, Agroalimentaires et de Territoire (DGPAAT), division du Ministère de l’Agriculture : “en terme de pouvoir d’achat, in fine, l’acheteur a tendance à rechercher le produit le moins cher. Si vous prenez le produit le moins cher, ça renvoie généralement à des pratiques d’élevage l’intensif et . Ça renvoie donc à des conditions de bien-être animal qui ne sont pas forcément les plus vertueuses. “, nous ont-ils expliqué.

 

         Pour contrebalancer cette vision, nous prendrons l’exemple des poulets fermiers élevés en Label Rouge, les poulets de la coopérative Loué. Cette coopérative a les mêmes clients que les poulets élevés de manière intensive, puisque ses produits sont vendus à 95% aux grandes surfaces. Nous avons pu nous entretenir avec leurs représentants au Salon de l’Agriculture, lors de notre visite. Les “fermes” Loué sont localisées en Sarthe et en Mayenne, dans le Pays de la Loire, et Loué est une coopérative agricole dont les produits sont étiquetés “Label Rouge”. Pour obtenir ce label, les bêtes doivent être élevées en plein air, ce qui signifie qu’elle ont la possibilité de sortir et qu’elles ont de grands espace à leur disposition. Un poulailler Label Rouge comporte 4500 poulets, et doit faire une taille minimum de 2 hectares (20 000 m2), ce qui est imposé par leur cahier des charges. Loué produit aussi des poulets et des oeufs issus de l’agriculture biologique. Un poulet étiqueté Label Rouge doit être élevé pendant quatre-vingt quatre jours au minimum avant d’être vendu.

Les poulets sont alimentés de manière naturelle, avec une nourriture qui est composée de la même manière que celle des poulets certifiés bio : 80% de céréales qui sont produits sur les exploitations, et 20% de végétaux (soja, colza, tournesol), minéraux et vitamines. Les poulets de Loué n’ont jamais mangé de farines animales et ne reçoivent pas d’antibiotiques (ils ont recours à la médecine douce : phytothérapie et homéopathie). Près de 25 000 contrôles annuels sont effectués en interne par des organismes certificateurs indépendants qui attestent du respect des règles en matière d’alimentation. Dans leur cahier des charges figure la prise en compte du bien-être animal, qui entre dans leur définition d’un élevage responsable. CIWF estime que ce type d’élevage est plus respectueux de l’animal, et donc plus responsable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Exemple d’une structure d’élevage Loué. 

 

         D’autre part, Loué affiche un engagement très fort pour la protection de l’environnement. Cette année, ils ont inauguré six éoliennes. Ils produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment avec leurs exploitations : c’est la première coopérative de France à énergie positive. Voici donc apparaître une autre vision de la responsabilité, qui s’exprime à l’égard de l’environnement.

Mais il faut préciser que cette technique d’élevage est plus coûteuse, et le produit fini sera commercialisé deux fois plus cher qu’un poulet issu d’une exploitation intensive.  

 

La responsabilité dans les élevages de poules pondeuses

 

      Il est difficile pour nous d’écarter la question des poules pondeuses, quand bien même nous travaillons sur la viande. En effet, les problématiques soulevées par les élevages de poules pondeuses sont assez similaires à celles que nous avons rencontrées durant nos recherches. Ce sont d’ailleurs bien souvent les acteurs que nous avons interrogés qui nous ont fait mention de cette catégorie particulière d’élevage, ce qui nous a permis de creuser la question. En jetant un oeil sur le rapport sur la structure de l’industrie de l’élevage de poules pondeuses en Europe, qui a été dressé par la Commission européenne, nous avons appris que l’Europe est le deuxième producteur d’œufs de poule du monde. Il y est établi que la production devrait rester stable dans les années à venir. En Europe, la France est le plus gros producteur d’œufs, avec 17 % de la production. La France, avec Allemagne, est aussi le premier exportateur d’oeufs. Ce rapport nous apprend aussi que les œufs de consommation produits dans l’Union européenne sont pour la plupart, à savoir pour environ 95 %, consommés dans la Communauté européenne elle-même. Ce même rapport pointe du doigt que la majorité des poules pondeuses sont élevées “en batterie” au sein de l’Union européenne. D’autre part, le nombre de poules pondeuses élevées dans une exploitation varie considérablement, de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers. Plus de 2000 exploitations ont un nombre supérieur à 40 000 poules pondeuses.

 

         Prenons l’exemple de l’élevage de poules pondeuses de Claude Dumoulin, dans la Somme, dont nous trouvons les caractéristiques dans un article du supplément Planète du Monde, du 17 janvier 2012. Cet élevage comporte 125 000 poules réparties dans deux hangars, comportant des cages réparties sur huit niveaux, partagées en quatre allées, avec au milieu des néons verticaux. Les poules entrent dans les cages à l’âge de dix-huit semaines, et partent à l’abattoir un an plus tard, après avoir pondu à peu près trois cent oeuf chacune. Le sol des cages est grillagé et incliné, de manière à ce que les oeufs qu’elles pondent atterrissent directement sur un tapis roulant qui les emmènent vers un autre bâtiment où ils ont expédiés. Le contrôle de l’humidité, l’expulsion des fientes, l’alimentation sont automatisés. Les cages font 750 cm2, selon l’application de la directive européenne sur laquelle nous allons revenir. Tout cela n’empêchant pas l’éleveur de prendre soin de ses bêtes : "j'aime mes poules”, dit-il. “Vous savez, un animal stressé produit moins. J'ai tout intérêt à ce que mes poules se sentent bien." La prise en compte de l’animal est donc directement liée à la productivité et aux intérêts économiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Exemple d’un élevage de poules pondeuses “en batterie”.

Photographie de L214

 

         Depuis quelques années, les médias ont commencé, progressivement, à alerter sur les conditions d’élevages des poules pondeuses. Cela s’est produit notamment grâce à une enquête de l’association L214, qui a révélé au grand jour des images de ce type d’élevage. “L’élevage en bat­te­rie des poules pon­deu­ses est une des pires formes d’élevage du point de vue de l’éthique ani­male. Les poules y sont enfer­mées sans accès à l’exté­rieur, sans pou­voir grat­ter le sol, faire des nids ou étendre les ailes aisé­ment. La den­sité d’élevage à l’inté­rieur des cages est d’une poule par feuille A4. Elles peu­vent être jusqu’à 200 000 entas­sées dans des bâti­ments aveu­gles. Un accès au plein air permet indé­nia­ble­ment aux poules d’expri­mer une plus grande gamme de com­por­te­ments." (source) . En 2004, CIWF, qui a fait également de cette catégorie d’élevage une priorité d’action, a fait pression au niveau européen et a obtenu la mise en place d’une réglementation qui rend obligatoire la codification des oeufs selon les modes d’élevage :

 

0 = oeufs de poules élevées en plein air (agriculture biologique)

1 = oeufs de poules élevées en plein air

2 = oeufs de poules élevées au sol (en bâtiment)

3 = oeufs de poules élevées en cage (en bâtiment)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                                        source

 

         A partir du moment où les associations se mirent à dénoncer les conditions d’élevage des poules pondeuses, un mouvement de rejet fut de plus en plus fort dans la sphère publique. A tel point qu’il a fallu que les autorités étatiques interviennent pour améliorer la réglementation. L’Union européenne a donc, en 2012, imposé une nouvelle norme, dans laquelle il est stipulé que les cages doivent être 750 cm2 minimum. Cette norme impose une mangeoire d’au moins quinze centimètre par poule, un perchoir, une litière, des grattoirs pour se raccourcir les griffes, ainsi qu’un nid pour pondre. Le non respect de ces normes pose des problèmes à la fois au niveau du bien-être animal, mais offre la voie également à la concurrence déloyale et une distorsion du marché par rapport aux éleveurs qui les respecteraient.

        D’après Valérie Pieprzownik et Djamel Djebbari, tous deux chefs de bureau au sein de la DGPAAT du Ministère de l’Agriculture, la pression sociétale fut telle que la situation des poules pondeuses a pu avancer très vite. Ils nous ont ainsi expliqué : “ce que l’on observe de plus en plus, c’est l’intervention des ONG directement dans des grands magasins pour interpeller  les consommateurs sur les conditions des élevages standards. Devant ces actions récurrentes, certaines enseignes de grande distribution commencent à renoncer à commercialiser ce mode de production. Donc quelque part, ces ONG vont influer sur le comportement d’achat. Sur l’oeuf, c’est de plus en plus prégnant.” Cependant, un problème nouveau se posera. "Il y a un moment où aucun distributeur ne voudra plus commercialiser ce type d’oeuf. Donc on va tomber dans une crise de facto.” Car, malgré les problèmes posés par l’élevage de poules pondeuses “en batterie”, “vous avez aussi des secteurs économiques à préserver, des emplois, c’est donc un équilibre qui est compliqué à trouver.” Le rôle des autorités étatiques, représentées par le Ministère de l’Agriculture, est donc d’être prescripteur sur ces attentes sociétales, de manière à prendre des mesures qui permettent de trouver cet équilibre. Pour ces autorités, la responsabilité réside précisément dans cet équilibre.






 

CARTOGRAPHIE DES CONTROVERSES • ECOLE DE LA COMMUNICATION • SCIENCES PO • 2014

       D’après l’entretien avec Jean-Michel Lamerant, éleveurs de porcs dans le Nord-Pas-de-Calais (voir son interview), le porc est l’un des seuls animaux à pouvoir donner naissance à un an. Il est pubère à cinq ou six mois, et en six mois de vie, il peut atteindre un poids qui se situe entre 105 et 120 kg. C’est un animal qui se développe très vite.

Au niveau génétique, on trouve parmi les races porcines certaines que l’on considère comme spécifiques à la reproduction, d’autres qui se caractérisent par leur vitesse de croissance, quand d’autres encore sont plutôt propices à une meilleure qualité de viande.

Ainsi, si l’on sélectionne une variété qui serait plutôt tournée vers la production de viande, cela se ferait au détriment du nombre de porcelets auxquels les truies donneraient naissance. Et, d’après l’entretien avec Jean-Michel Lamerant, c’est au niveau du nombre de porcelets que se situe le ratio économique, puisque ce sont eux qui donnent ensuite de la viande. Des programmes de sélection génétique sont donc mis en oeuvre pour tenter de cristalliser ces trois caractéristiques au sein d’un même organisme qui se retrouvera dans l’assiette du consommateur, répondant de la sorte aux besoins de rentabilité des élevages, de qualité de la viande, de qualité sanitaire des produits finis et de respect des animaux. Mais peut-on concilier productivité et qualité sanitaire ? Productivité et bien-être animal ? Quelles sont les définitions de la responsabilité qui prennent racine dans la sélection génétique de l’élevage porcin et comment sont-elles mises en œuvre par les différentes parties prenantes qui interviennent à cette étape de la production de viande ?

 

          La sélection génétique relève d’un choix qui aura de larges conséquences sur la vie de l’élevage, son évolution, mais aussi sur la viande qui se retrouvera finalement dans l’assiette du consommateur. Mais comment cela se passe-t-il, concrètement, au sein d’un élevage porcin ?

 

         Ce sont l’Union européenne et l’Etat français qui régulent les normes relatives aux porcs destinés à la reproduction. L’arrêté du 16 janvier 2003, dans son article 1, détaille ainsi “les normes minimales relatives à la protection des porcs entretenus à des fins d'élevage et d'engraissement.” L’arrêté prévoit des conditions spécifiques pour les cochettes (jeune truie élevée pour le renouvellement du troupeau) après la saillie et les truies gestantes. Toute tentative de sélection génétique doit se faire dans le respect des normes fixées par le présent arrêté.

 

         France Génétique Porc, qui associe organisations économiques et chercheurs, se penche lui sur les critères de choix de la femelle, qui sont la “productivité numérique” des truies ainsi que leurs “qualités maternelles”, c’est-à-dire leur capacité à sevrer les porcelets, leur nombre de tétines, ainsi que l’homogénéité du poids des porcelets. Les “caractères de reproduction” sont un aspect également important dans la sélection génétique des truies (croissance, composition corporelle…). Une fois le choix des truies effectué, l’éleveur procède au choix de la semence de verrat apte à produire de la viande de qualité.  L’article 2 de l’arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs stipule que “le verrat est un porc mâle pubère, destiné à la reproduction”. Ce verrat est souvent issu de la race Piétrain, ou Landrace. France Génétique Porc explique que les principaux axes de sélection des lignées mâles vont porter sur la croissance des animaux en engraissement, l’efficacité alimentaire, la composition des carcasses ou encore la qualité de la viande.

Il est ensuite procédé à une insémination artificielle.

 

Une arène dans laquelle interagissent différents acteurs et intérêts

 

         Qui dit sélection génétique dit, pour ceux qui en sont à l’origine, solutions pour améliorer les races et l’adaptation de la bête à différents environnements, et meilleur traitement de certaines maladies. Mais le fait est que le besoin de rentabilité en est le réel moteur. Car, à travers une meilleure résistance aux bactéries, une meilleure adaptation à l’environnement, les éleveurs espèrent augmenter leur rendement, par une meilleure qualité de viande et donc un prix plus élevé, ou par une augmentation de la quantité de porcs produits. Ainsi, des organismes de sélection génétique vont surfer sur ce marché et plus de trente sociétés se partagent ce commerce à l’international.  Le rapport État des lieux et valorisation de la filière génétique porcine du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (dépendant du Ministère de l’Agriculture) datant de juin 2012 explique que “les sociétés françaises Nucléus, ADN et Gene + se situeraient dans les vingt premières sociétés couvrant ensemble moins de 2 % du marché mondial de la génétique porcine. Il n'apparaît pas dans ces conditions que la France puisse jouer un rôle majeur dans ce domaine”. La sélection génétique est donc un débat qui ne s’arrête pas aux frontières, et pour lequel la compétition se fait par grand groupe régional ou par Etat.

 

La complexité des acteurs de la sélection génétique

 

        La France reconnaît officiellement douze races porcines dans son arrêté du 26 juillet 2007. Les livres généalogiques de ces races sont gérés par des organismes de sélection porcine (OSP) agréés par l'Etat. Quatre de ces races (Landrace, Piétrain, Large White mâle et femelle) sont sous la gestion collective de l'association des livres généalogiques porcins collectifs (LGPC).

 

 

 

 

 

 

 

 

Landrace                                         Piétrain                                        Large White

 

Six autres races, locales, sont sous la responsabilité du LIGERAL (Association des Livres Généalogiques collectifs des Races Locales porcines) auquel l’IFIP (Institut du porc) apporte son appui.

Cette démarche reste compliquée à comprendre par les acteurs qui n’interviennent pas au sein de  la filière de sélection porcine. La redondance de certains organismes gestionnaires ne facilite pas la lisibilité complète du système. Ainsi, il apparaît surprenant qu'il y ait deux associations (LGPC et LIGERAL) pour gérer douze races françaises, toutes les deux recevant l'aide de l'IFIP et de l'INRA. Il est certain qu'il y aurait beaucoup à gagner en visibilité nationale et internationale en réduisant ces deux structures soit sous la responsabilité de l'IFIP. La démarche reste peu identifiable et sa complexité ne permet pas d'isoler un interlocuteur unique responsable de la valorisation des races françaises tant à l’échelle nationale qu’internationale.

 

Utilisation de la sélection génétique par les éleveurs porcins

 

     Ces informations sont issues de l’entretien avec Jean-Michel Lamerant. Nous avons choisi volontairement de nous appuyer sur les propos de cet éleveur, dans la mesure où l’entretien s’est révélé particulièrement riche sur la sélection génétique. Aussi avons-nous appris qu’il existe différents métiers chez les éleveurs de porc. Celui de multiplicateur, qui consiste à élever des porcs uniquement destinés à la reproduction, c’est-à-dire à l’élevage de truies. Il y a ensuite celui d’engraisseur, qui consiste à engraisser les truies avec de la semence de verrat. D’après l’arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs, une cochette est un "porc femelle pubère qui n'a pas encore mis bas”. Pour qu’une cochette soit en chaleur, cela nécessite la présence d’un “verrat souffleur”, c’est-à-dire de la proximité et l’odeur d’un verrat dont on connaît ses qualités de stimulation des chaleurs des truies. Il permet à l’éleveur de savoir quelles truies inséminer. On trouve aussi le métier de naisseur, qui est consacré à la gestation puis à la mise bas des truies. Toute la partie naissance prend beaucoup de temps, et un bon nombre d’éleveurs préfèrent acheter les porcelets et se consacrer à l’engraissement plutôt que de s’occuper de la naissance. Les parties “gestantes” nécessitent beaucoup d’attention, tandis que l’alimentation et l’engraissement des porcs peuvent être dirigés à distance.

 

         Les cochettes sont inséminées vers l'âge de cinq ou six mois pour qu’elles puissent mettre bas à un an. Pour ce faire, l’éleveur se rend dans un centre d’insémination où il peut acheter des semences de verrats. Celles-ci sont très fragiles et ne se conservent pas sur la durée, ce qui explique que la grande majorité des éleveurs de porcs ne peuvent s’occuper de cette partie du métier eux-mêmes, car le matériel requis est coûteux et nécessite des précautions particulières. La semence de porc a une durée de vie de 48h, et se conserve dans un container à -70°C. Le prix des semences varie du simple au double. En Belgique, les doses sont moins chères, et il faut compter entre 5 et 6€ pour des doses de verrats Piétrains, contre 15€ environ pour une dose de verrat Landrace. En Europe, on a cinq races dominantes. Le Large White, le Landrace français, le Landrace belge, le Hampshire d’Angleterre, Le Danois et le Piétrain, qui vient d’Allemagne. Le Large White grossit très vite, a un gros gabarit, donne beaucoup de porcelets mais une qualité de viande déplorable. De l’autre côté, le Piétrain est un porc fragile, qui ne donne que très peu de porcelets, grossit moins vite mais la viande est très bonne.

       Le cycle ovarien d’une truie est d’une durée de trois semaines. Elle est inséminée, et si la gestation, de 112 à 116 jours, se passe comme prévue, elle peut mettre bas jusqu’à 22 porcelets. L’idéal d’après les éleveurs est un nombre de 10 à 12 porcelets. “Si elle en a moins ils sont plus gros et plus durs à faire sortir, si elle en a plus, ils sont trop petits et plus faibles”, nous a aussi révélé Jean-Michel Lamerant. Les porcelets sont allaités pendant 3 semaines minimum, mais c’est un choix d’éleveur. Ensuite, les porcelets vont en post-sevrage pour un mois. La taille de la portée chez le porc est restée pratiquement inchangée depuis les années 1990 à environ 10 porcelets. Pour autant, la sélection génétique a permis ces quinze dernières années d’obtenir des améliorations considérables, avec une taille moyenne de portée avoisinant les 15 porcelets.

 

Quand l’aval de la chaîne de la viande influence fortement l’amont…

 

          Pourquoi la sélection génétique et la reproduction ont un rôle primordial? Jean Michel Lamerant explique encore : “en France, on n’aime pas le gras : il faut une viande avec le plus haut taux de muscle à l’intérieur. Donc entre 58 et 62% de muscle et suivant cette fourchette, on est payés plus ou moins.” “Les consommateurs français ont des attentes bien précises, une viande pas grasse, blanche, mais il faut savoir que ce n’est pas la meilleure viande. Ce sont les vieilles truies qui donnent la meilleure viande. Pour nous, c’est un souci car on est obligés de produire ce que le consommateur veut alors que ce n’est pas logique”.

      Ainsi, les consommateurs français ont des attentes bien précises en matière de viande. Les éleveurs sont donc conseillés par des techniciens pour inséminer leurs truies avec une semence de verrat qui puisse donner la qualité attendue par le consommateur. Et même si l’éleveur considère bien souvent que cette viande n’est pas la meilleure, le consommateur est roi. Nous voyons donc ici apparaître une définition de la responsabilité, dont nous avons esquissé les contours en introduction : il s’agit d’être productif, tout en garantissant au consommateur une qualité optimale des produits, conforme à ses attentes.

 

     Mais voilà que certains acteurs sont venus imposer progressivement une autre vision de la responsabilité, considérant que la première est discutable. En 1998 sont pointés du doigts par des scientifiques spécialisés dans le secteur animalier certains effets produits par une sélection génétique visant à améliorer la productivité des élevages (Undesirable side effects of selection for high production efficiency in farm animals, Rauw W.M., Kanis E., Noordhuizen-Stassen E.N., Grommers F.J.). Parmi ces effets figurent en premier lieu ses conséquences environnementales. En effet, lorsqu’elle est tournée vers la rentabilité économique, la sélection animale participe à un processus d’intensification de l’élevage porcin qui émet un taux important de gaz à effet de serre. A partir des années 1960 survient aussi une autre préoccupation liée à la sélection génétique, qui vient essentiellement des associations de défense de la cause animale : une prise de conscience des dangers créés par la réduction du nombre de races ou de lignées.

D’après Isabelle Delaunay, de l’Institut Technique du Porc, dans Gestion de la variabilité génétique au sein des populations collectives porcines : nouveaux outils et premières actions, “la variabilité génétique est un paramètre important à prendre en considération par les schémas de sélection. Cette diversité est à la base du progrès génétique à long terme et sa perte augmente la fréquence des anomalies génétiques et dégrade les performances techniques.

Ainsi, la sélection génétique des porcs peut contribuer à l’appauvrissement à long terme de la variabilité génétique d’une population. L’auteur explique que la sélection de certaines familles au détriment d’autres a trois conséquences :

  • l'augmentation du niveau génétique moyen de la population ;
  • l'augmentation de la consanguinité et la perte de variabilité génétique ;
  • la sélection génétique des porcs se fait souvent dans des populations de taille réduite qui engendre une consanguinité et des difficultés ensuite de fertilité ou robustesse.

Aussi, responsabiliser la production de viande passerait par une réflexion autour de ces impacts environnementaux et d’anomalie génétique.