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...et l'arrivée du sol dans la société
 

Vous savez désormais que les modèles agricoles alternatifs qui ont fleuri en rupture avec les pratiques conventionnelles produisent un discours autour du sol comme acteur essentiel de l'agriculture. Et il est intéressant de noter que si les pratiques et les modèles diffèrent, le discours sur l'importance du sol est similaire.

 

Sur le terrain, dans la bouche d'acteurs aussi différents que des scientifiques de l'INRA et du CIRAD, des enseignants d'AgroParisTech, des agriculteurs bio de la Confédération Paysannes, des agriculteurs en semis-direct, des représentant de chambres d'agriculture et du ministère de l'agriculture, nous avons identifié un discours curieusement uniformisé autour du sol, qui semble consacrer son arrivée comme enjeu environnemental majeur et comme sujet de débat en société. Ce discours, qui est frappant de par son uniformité et l'utilisation d'un même champ lexical, alors même qu'il est prononcé par des acteurs très différents s'organise généralement en trois points :

 

 

En plus de mobiliser les pratiques des agriculteurs, le sol devient un enjeu social, qui vient alimenter les débats environnementaux.

Une sorte de "repentance".


L'agriculture productiviste née dans les années 1950 a oublié le sol. Elle en a fait un substrat, un simple support de culture. On nourrissait directement la plante et pas le sol. Le sol n'était plus considéré comme un "partenaire" donc un acteur dans la production agricole.

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Une volonté et un début de changement.

 

Cette situation issue du modèle productiviste n'est pas durable. Nous avons observé que les critiques à l'encontre de cette agriculture ne prenant pas assez en compte le sol sont dites au passé "on a oublié de prendre en compte le sol", "on en a fait un simple substrat". Plus qu'une prise de conscience, on pressent un changement dans les pratiques sur le sol.

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Une dénonciation du manque de connaissances sur le sujet.

 

Ce manque de connaissances est dénoncé aussi bien dans le domaine de la recherche que chez les agriculteurs. On entend que les agriculteurs ne connaissent pas leur sol et ses dynamiques biologiques ("ce qu'il se passe en dessous") mais aussi que d'une manière plus générale, il existe une méconnaissance scientifique quant aux sols, un milieu très complexe. On reconnaît cependant des progrès pour combler ces lacunes. Un autre point de critique récurrent concerne la mise en commun des connaissances entre les différentes sciences du sol (biologie, pédologie, agronomie...), un progrès attendu par tous semble être une convergence plus forte  de ces disciplines dans l'optique de la production de savoirs plus "applicables".

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Le sol en société

Au-delà de ce discours assez consensuel chez les acteurs directement concernés sur la nécessité de rompre avec la vision du sol qui prévalait dans le modèle de l'agriculture industrielle, on assiste à l'entrée du sol en société.

 

L'importance de l'étudier pour mieux le respecter et garantir sa fertilité trouve un écho dans une opinion publique sensibilisée aux enjeux de développement durable. Alors que les scandales alimentaires font la une des médias, que se pose la question de la finitude des ressources naturelles et le problème de nourrir une population mondiale en pleine croissance, le sol est vu comme un el dorado de solutions. De telles idées sont largement diffusées par des documentaires à succès comme "Solutions locales pour un désordre global" de Coline Serreau ou "Les moissons du futur" de Marie-Monique Robin. Le sol comme enjeu environnemental intéresse de plus en plus et ceci est en partie du au rôle d'acteurs qui s'engagent pour faire du sol un acteur dans l'agriculture et ne cessent de dénoncer la mauvaise connaissance qu'on en a.

 

Le résultat du travail d'entrepreneurs de mobilisation

Claude Bourguignon, ingénieur agronome de l'INRA est l'un de ces entrepreneurs de mobilisation. Il est l'un des premiers à médiatiser les questions sur le rôle du sol en agriculture. En désaccord avec les orientations de l'INRA, qui oublie à son avis le sol, il quitte le monde officiel de la recherche en 1989 pour créer avec sa femme Lydia son propre Laboratoire d'Analyse des Sols (LAMS).

 

Usant d'un ton alarmiste et médiatiquement efficace (il emploie notamment le champ lexical de la mort,  parlant de sols "à l'agonie", de "sols morts", de "sols vitrifiés"), il est l'un de ceux qui ont organisé la mobilisation autour du développement de l'agriculture de conservation et ont efficacement attiré l'attention sur le sol et la faune qu'il abrite.

 

Véritable lanceur d'alerte, Claude Bourguignon multiplie les conférences, publications et collaborations avec le milieu agricole pour diffuser les connaissances sur le sol et sensibiliser l'opinion à l'importance que celui-ci peut avoir et aux pratiques qui selon lui "tuent nos sols". Son travail est souvent apprécié des agriculteurs mais est dénoncé par la recherche, qui voit d'un mauvais oeil ce personnage indépendant et couronné de succès d'un point de vue médiatique (un chercheur à l'INRA ironise en disant que "on n'est pas comme Bourguignon, on n'a pas quatre pages dans le Monde") tout en revendiquant un travail scientifique.


Emmanuel Bourguignon, le fils de Claude et Lydia Bourguignon a suivi ses parents dans leur engagement. Il nous parle de leur travail.

 

Le rôle de tels lanceurs d'alerte est essentiel et explique une grande partie de l'arrivée du sol dans la société et l'uniformisation des discours évoquée plus haut.

 

Le travail couronné de succès des entrepreneurs de mobilisation qui s'engagent pour le sol, l'uniformisation des discours à son sujet nous montrent qu'on peut réellement parler d'une arrivée du sol dans la société.

 

Celui-ci, auparavant ignoré se trouve au centre de préoccupations environnementales et de débats qui ne le prenaient pas ou peu en compte auparavant. La meilleure preuve de ce changement est le programme Produisons Autrement, lancé en 2012 par le ministère de l'Agriculture. Ce type d' initiative est  représentatif  des sujets de préoccupation de l'opinion publique en matière d'agriculture. Il s'agit essentiellement d'un plan de communication qui a pour but de réconcilier les attentes des citoyens et les pratiques des agriculteurs. Un rapide coup d'oeil sur le site permet de constater que le sol y a une importance certaine et que son fonctionnement, son état sont loins d'être ignorés.

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