DISTRIBUTION

       L’étape de la distribution est une étape essentielle, puisque c’est elle qui permet de mettre les produits à disposition du consommateur. Depuis peu, elle a pris de l’importance, car c’est précisément le trajet de la viande qui a fait le coeur du dernier scandale alimentaire ayant éclaté à l’échelle européenne : le scandale de la viande de cheval, dit “horsegate”.

 

       A la sortie de l’abattoir, la carcasse est découpée, transformée, conditionnée, avant d’être envoyée dans les différents circuits de distribution qu’elle emprunte. C’est à cette étape charnière, où l’animal est devenu successivement bête morte, puis viande, que la traçabilité prend toute son importance. Les acteurs qui interviennent ici sont différents de ceux que nous avons pu rencontrer jusqu’à présent : nous ne parlons plus d’animaux, les associations de défense de la cause animale ne se mobilisent donc plus. C’est aussi ce qui fait que cette étape est moins riche pour notre controverse : les enjeux que nous y rencontrons sont certes importants pour comprendre comment les visions de la responsabilité qui ont été exprimées en amont continuent de se préciser. Néanmoins, les prises de positions sont moins fortes, et nous avons décelé moins d’oppositions.

 

      Regardons, en préalable, quelles sont les évolutions de la distribution. D’après un rapport du Sénat, fait “au nom de la mission commune d’information sur la filière viande en France et en Europe : élevage, abattage et distribution”, la grande distribution joue un rôle prépondérant. En effet, alors que les Français se fournissaient traditionnellement en produits carnés auprès des boucheries et des charcuteries, la part des détaillants n’a cessé de reculer au cours des dernières décennies. La boucherie n’’assure plus la distribution que de 15 % de la viande bovine (27 % pour le veau), de 23 % de la viande ovine, de 17 % de la viande fraîche de porc, de 10 % de la charcuterie (dont jambon), et de 14 % de la viande de volaille. La grande distribution est ainsi devenue le principal distributeur de viande en France.

Les grandes et moyennes surfaces (GMS) ont distribué en 2011 54 % de la viande bovine (50 % pour le veau), 56 % de la viande ovine, 71 % de la viande de porc fraîche, 77 % de la charcuterie (dont jambons) et 77 % de la viande de volaille. Il est aussi mentionné dans ce rapport que “les rayons boucherie et charcuterie des GMS font gagner de l’argent aux magasins, car ils constituent un facteur de relations humaines qui contribuent fortement à leur attractivité et incitent les consommateurs à se déplacer et à consommer des produits, plus rentables pour la grande distribution”.

Cette importance prise par la grande distribution a un impact non négligeable sur la production de viande : commercialisant à des prix moindres que dans les commerces spécialisés, elle permet, par sa structure de coûts, de maintenir l’élevage intensif, qui est au coeur de notre enquête. Elle fait aussi le lien avec les enjeux sanitaires que nous étudions dans la partie relative à la consommation. Nous constatons, ici encore, que tous les maillons de la chaîne de la production de viande sont liés entre eux.

 

      D’autre part, avec la commercialisation de viande en grande surface sont nées de nouvelles exigences, qui font l’objet d’une réglementation aussi bien sur la découpe, le conditionnement, la traçabilité, que sur des règles d’hygiène propres au respect de la chaîne du froid. Mais quelle est la vision de la responsabilité que ces règles impliquent ? Cette vision est-elle discutée ? Par qui ? Voici nos éléments d’explications.




 

Suite au scandale de la viande de cheval, une atmosphère de suspicion s’est installée en France. Les différents acteurs cherchent donc à ré-instaurer un climat de confiance quant à la traçabilité des viandes. Qu’il s’agisse des industriels, des politiques ou des éleveurs, chacun cherche à rassurer le dernier maillon de la chaîne : le consommateur. L’origine et la traçabilité des produits carnés sont désormais des éléments essentiels, et l’on observe donc, chez les acteurs, cette tendance qui consiste à adopter une posture responsable et transparente dans leurs prises de parole médiatiques.

      Nombreux sont les labels, mais les connaissez-vous vraiment ? Nous vous proposons de faire le test.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        D’où viennent les produits ? Comment ont-ils été fabriqués, transformés ? Avec quels ingrédients ? Par qui ? Ces interrogations refont la plupart du temps surface au moment des crises alimentaires – qu’elles soient sanitaires ou qu’il s’agisse de tromperie. De fait, la notion de traçabilité est généralement associée à celle de crise. Elle est même perçue comme une réponse à la crise, et même comme une tentative de “re-responsabilisation” des acteurs de la filière viande.

 

      Il est difficile de savoir à quoi renvoie la notion de traçabilité, devenue progressivement assez fourre-tout. Avant d’être une réponse aux crises alimentaires, la traçabilité est la "capacité à retrouver, à travers les étapes de production, de transformation et de distribution, le cheminement de denrées alimentaires ou de substances destinées à être incorporées dans une denrée alimentaire ou un aliment pour animaux", selon la définition du Parlement européen, d’après un règlement de 2002 (règlement CE 178/2002). Elle doit donc permettre de savoir de quoi est constitué un produit ou un lot (sa composition, son historique) et de le localiser, dans le temps et l’espace.

En fait “la traçabilité est avant tout un outil industriel, à la fois technique et réglementaire” explique Jean-Luc Viruéga, expert en traçabilité. “Cette notion existait bien avant les crises alimentaires.

       Aujourd’hui, la traçabilité a minima, d’un point de vue sanitaire — c’est-à-dire le suivi des produits depuis le fournisseur direct, jusqu’au client direct — est acquise par les entreprises. Elle est d’ailleurs obligatoire depuis le 1er janvier 2005. Selon une étude menée par Grant Thonton en 2013, "la majorité des dirigeants interrogés (62 %) surveille la traçabilité des produits depuis le premier tiers de la chaîne d’approvisionnement." Cela dit, elle est bien souvent perçue avant tout comme une contrainte par les entreprises. En effet elles sont moins de 40 % à concevoir de manière positive la réglementation en matière de traçabilité.

 

Quelle responsabilité dans la mise en place de la traçabilité ?

 

      Suite aux nombreux scandales alimentaires, les autorités politiques ont renforcé la législation concernant la traçabilité des aliments, afin de pouvoir tout de suite repérer d’où viendrait une viande potentiellement avariée. Cette nouvelle réglementation se répercute à toutes les étapes de la chaîne de production de la viande. Tout au début de la chaîne, nous retrouvons Pierre Frankinet, vétérinaire nutritionniste qui prépare des compléments alimentaires destinés aux animaux d’élevage, particulièrement les bovins. Il est à présent obligé de détailler la composition de ses mélanges, il doit pouvoir dire d’où viennent ses matières premières et où sont partis ses différents aliments, suite à une accumulation de décisions législatives prises pour augmenter la transparence. Pierre Frankinet nous a par exemple longuement détaillé l’articulation entre l’agréation et le système GMP (Good Manufacturing Practice), deux systèmes de traçabilité mis en place après la crise belge de la dioxine. Une accumulation de réglementation dont l’efficacité n’est pas tout à fait à la hauteur des espérances : “C'est un truc qui génère un business fou. Mais le GMP n'apporte rien de plus que l'agréation sauf une contrainte supplémentaire”. D’après lui, il y aurait davantage de traçabilité en matière d’alimentation animale qu’en agro-alimentaire : “si vous allez demander chez Carrefour : vous avez abattu une bête n° untel, vous l'avez découpée en petits morceaux, dites-moi où les petits morceaux ont été vendus, ils savent dire dans quel centre de distribution c'est arrivé, mais après... ceinture. Pourquoi ? Parce que ça leur coûterait très cher de faire la traçabilité jusqu'au bout”. Claude Piron de Borlez, éleveur bovin dans la région de Liège (Belgique), confirme : la traçabilité n’est plus aussi efficace à mesure que l’on avance dans la chaîne de production. Il “[ne sait pas] où va [s]a viande”. Quand au consommateur, il a toujours le plus grand mal à savoir exactement ce qu’il mange. Selon Pierre Frankinet, “le seul moyen de savoir ce que vous mangez, c'est d'aller dans les commerces de proximité : le mieux c'est même qu'on passe le steak à la moulinette devant vous…”.

 

        Selon eux, cet enchevêtrement de lois ne serait donc qu’un moyen pour les hommes politiques de se protéger en cas de nouveau scandale : “il faut savoir que la crise de la dioxine a été une super crise politique, le gouvernement a sauté, etc. Donc ils ont déjà mis en place l'agréation, mais comme eux devenaient carrément responsables de tout à ce moment-là, ils ont délégué une partie de l'auto-contrôle au GMP, donc finalement si ça pète encore, le politique sera à l'abri, et ce seront les gars en dessous qui vont trinquer”.

 

        La question de la traçabilité peut sembler anodine : le consommateur peut penser que manger une vache française, espagnole ou polonaise ne fait pas beaucoup de différence. Mais le problème se pose dès que des infractions aux règles de protection des consommateurs se posent, a fortiori dans le cas de scandales alimentaires. Bien qu’insistant sur l’aspect sensationnel, un documentaire intitulé “En quête d’action”, diffusé sur D8 le 07 mai 2014, nous a semblé intéressant car il apprend par exemple comment la “VSM (initiales de Viande Séparée Mécaniquement, c’est-à-dire des carcasses de poulet normalement destinées à de la nourriture pour animaux) est récupérée par certains industriels pour la consommation courante. Elle contient des résidus d’eau, de cartilage, et de moelle, et n’est donc pas considérée comme de la viande, mais elle fait chuter le prix des plats cuisinés à base de poulet. Bien que la DGCCRF encadre l’utilisation de VSM, interdite en France dans de nombreux plats cuisinés, les entreprises agro-alimentaires ne respectent pas toujours ces décisions. Deux entreprises françaises sont actuellement en procès pour utilisation de VSM. Intéressant à savoir : la VSM est cependant autorisée dans les saucisses de poulet sans qualificatif de qualité, à hauteur de 25%, et ce, sans que le consommateur sache de quoi il en retourne.

 

        Et de fait,  la réglementation n’est parfois pas respectée comme elle devrait l’être. Un article du journal La Voix du Nord nous apprend qu’en janvier dernier, des éleveurs porcins se sont mobilisés dans un Super U d’Houplines, dans le Nord de la France, afin de vérifier la traçabilité des produits commercialisés. Ils ont notamment découvert que la viande de porc, pourtant étiquetée VPF (Viande de Porc Française) avait été abattue en Belgique. Or, ce label implique que la bête soit née, ait été élevée et abattue sur le sol français.

 

Valoriser la traçabilité grâce aux labels

 

     Un système performant couplé à une bonne stratégie doit permettre de valoriser économiquement les données de traçabilité. Ainsi, le label rouge, le signe de qualité agriculture biologique ou encore les indications géographiques protégées (IGP) sont crédibles grâce aux systèmes de traçabilité.

L’union européenne s’est dotée d’un dispositif juridique conséquent et contraignant en matière d’élevage, de transport et d’abattage, qui entraîne de gros efforts, des investissements et donc un coût pour les filières professionnelles concernées.

Les professionnels français des filières d'élevage ont suivi le pas en instaurant des labels reconnus à l'échelle nationale, à l’image des tous récents labels Viandes de France (VDF), pour les animaux nés, élevés, abattus et transformés en France.

Mais attention, “il ne faut pas confondre origine et traçabilité, rappelle l’expert en traçabilité.” Jean-Luc Viruéga. “Savoir qu’un produit a été transformé en France ne permet pas de le rappeler en cas de non-conformité. Un produit étiqueté « made in France » ne garantit pas le process de fabrication ou le contrôle de la qualité“ (si vous souhaitez en savoir plus sur les labels et signes de qualité, rendez vous sur la partie “Consommation” de notre site).

 

Zoom sur la traçabilité et l’étiquetage de la viande bovine

 

         Avec cette volonté de responsabilisation de la part des acteurs de la filière viande, le règlement n°1760/2000 du Parlement et du Conseil fixe les conditions de l'étiquetage de la viande bovine.

Ce règlement remplace le règlement n°820/97 dont il reprend les règles déjà en vigueur de l'étiquetage facultatif. Il crée par ailleurs un système communautaire d'étiquetage obligatoire de la viande bovine, notamment au travers de trois mentions :

  • les mentions obligatoires
  • les mentions obligatoires pour la viande hachée
  • les mentions volontaires

Mentions obligatoires

 

      L'étiquetage des viandes bovines, hormis les viandes hachées, doit comporter obligatoirement, depuis le 1er septembre 2000:

  • un numéro assurant le lien entre le produit et l'animal ou le groupe d'animaux dont il est issu ;
  • le pays d'abattage et le numéro d'agrément de l'abattoir ;
  • le pays de découpage et le numéro d'agrément de l'atelier de découpe.

        Au niveau industriel, afin de tenir compte de la nécessité de procéder à certains assemblages de produits (fin de lots, composition de barquettes incluant différents produits…), il peut être admis de faire figurer, sur une étiquette, à côté du nom du pays, les numéros d'agrément d'abattoirs ou d'ateliers de découpe de ce même pays, correspondants aux établissements dont proviennent effectivement les viandes.

     La traçabilité doit toujours permettre de remonter de la viande distribuée à l'animal ou aux animaux dont elle provient à l'aide des liens entre les enregistrements des différents numéros de lot et de leurs caractéristiques.

        Au rayon libre-service, pendant la période nécessaire à l'adaptation technologique des combinés d'étiquetage, des modalités transitoires sont admises. L'étiquette doit au minimum comporter les mentions du code de référence, du pays d'abattage et du pays de découpage. Les numéros d'agrément des établissements concernés peuvent figurer sur une liste correspondant à l'approvisionnement réel du rayon disposée à la vue des consommateurs.

     Au rayon traditionnel, l'étiquetage concerne également les informations fournies au consommateur final pour des viandes vendues non préemballées (chez les artisans bouchers ou aux rayons traditionnels des grandes surfaces). Les informations données au consommateur sur le pays d'abattage ou toute autre mention relative à l'animal sont affichées dans le magasin.

       En France, l'accord interprofessionnel du 17/02/98 a été étendu, donc rendu obligatoire, jusqu'au 31 août 2000. Dans l'attente d'une nouvelle extension , les opérateurs peuvent continuer à étiqueter la viande bovine avec les mentions de l'origine française, de la catégorie et du type racial, ils l'effectuent alors à titre volontaire.

         A partir du 1er janvier 2002, ces informations devront être complétées par l'indication du pays de naissance et du pays d'élevage. Dans le cas où l'animal dont provient la viande est né, élevé et abattu dans le même pays, la mention "origine" peut également être employée.

 

Mentions obligatoires pour la viande hachée

 

      Des dispositions particulières d'étiquetage sont prévues pour la viande hachée. Celle-ci est dispensée de la mention des numéros d'agrément d'abattoir et d'atelier de découpe.

A compter du 1er septembre 2000 les mentions obligatoires sont le numéro ou code référence, le pays d'abattage et le pays d'élaboration (hachage).

A compter du 1er janvier 2002 les mentions précédentes sont complétées par l'indication des pays de naissance et d'élevage sous la forme :" origine : (noms des pays concernés)".

 

Mentions volontaires

 

            Toute mention du domaine volontaire doit être réalisée sur la base d'un cahier des charges agréé par les pouvoirs publics.




 

      La découpe, la transformation et le conditionnement de la viande forment  une étape à part entière, car c’est ici que la bête quitte son statut d’animal  pour passer à celui de “produit d’origine animale”. Non, nous ne parlons plus ici du porc, du poulet ou du boeuf comme d’un animal,  mais plutôt comme carcasse, denrée ou tout simplement comme de la viande. Cette étape marque la transition entre l’amont de la chaîne de production de la viande, c’est à dire l’élevage puis l'abattage, et l’aval, par lequel nous entendons la distribution puis la consommation de viande.

D’ailleurs, les acteurs de la responsabilité qui évoluent sur cette chaîne de production vont ici se diversifier. Dans l'arène de la distribution et de la consommation de la viande, les défenseurs de la cause animale ne se mobilisent plus, sauf pour demander au consommateur de ne plus manger de viande par respect envers les animaux. En revanche, les acteurs qui placent la responsabilité sur les questions sanitaires vont davantage intervenir. Ainsi, les questions de traçabilité, d’hygiène, de conditionnement et transformation de la viande vont , quant à elles, être primordiales.

 

         Après l’abattage des animaux, les carcasses entières ou “demi-carcasses” (selon l’espèce traitée) sont dirigées dans les réfrigérateurs de ressuage puis dans les réfrigérateurs de conservation pour assurer une maturation optimale de la viande. Elles sont ensuite dirigées vers la première transformation ou la “grosse coupe” qui permet de diviser les carcasses en quartiers. Ils sont alors prêts à être expédiés ou dirigés vers les industriels de la découpe, les bouchers, les ateliers des grandes surfaces ou de la restauration collective. Le travail lors de cette étape charnière de la production de viande est majoritairement automatisé, pour les produits à destination de la grande distribution. Prenons par exemple le cas d’un dirigeant de société, ancien éleveur, qui s’est spécialisé dans le poulet vendu en grande surface et certains produits transformés. Il nous a été présenté au cours d’un reportage diffusé par la chaîne D8, le 7 mai 2014. Nous assistons ainsi à la réception de deux mille poulets pour cette étape de découpe, qui sont abattus, puis transformés dans son entrepôt. Une fois abattus et débarrassés de leurs plumes, les morceaux inexploitables, tels que la tête et les pattes, sont retirés. Ensuite, les employés retirent les intestins et le cœur. Puis tout le reste du poulet est rentabilisé. Dans cet atelier, une partie est revendue sous forme de poulet entier. Mais Francis, le dirigeant, dit gagner plus d’argent à la découpe. Il possède donc des machines capables d’effectuer ce démembrement : une scie circulaire sépare les ailes de la carcasse et une autre coupe le dos, puis une machine sépare les cuisses. Le reste n’est pas perdu pour autant, puisqu’il servira à la fabrication de nourriture pour animaux. Un soin minutieux est apporté à la découpe des filets, car c’est la partie la plus tendre et appréciée par le consommateur. Ils sont vendus en grande surface à 6 euros le kilo, ce qui correspond au prix d’un poulet entier non découpé. Aussi, les employés lèvent tous les filets à la main pour qu’il n’y ait pas de perte.

 

       Ici intervient déjà un premier niveau de responsabilité. L’interview avec Jean-Michel Lamerant, éleveur de porcs dans le Nord-Pas-de-Calais a éclairé un point important. Les grandes surfaces vont privilégier le rendement et une productivité élevée, en sacrifiant un meilleur TVM, c’est-à-dire un taux de viande maigre. Par quoi cela passe t-il ? L’éleveur explique que “les grandes surfaces veulent des porcs très homogènes car elles n’embauchent pas de personnel qualifié pour la découpe donc vis à vis de ces personnes payées au lance pierre il faut des carcasses qui soient vraiment toujours de la même dimension. Donc eux vont faire la razzia sur les porcs les plus nombreux, entre 59 et 60 de TVM. C’est là qu’on a la  majorité des porcs”. On voit ici s’opposer la responsabilité vis à vis du consommateur, qui préférerait une viande maigre en matières grasses, à la rentabilité économique des professionnels de la grande distribution. A l’inverse, les bouchers, “vont savoir exactement ce qu’il faut faire en fonction des différentes carcasses”.

 

      Intervient ensuite la deuxième transformation, la découpe-désossage, dont les principaux produits sont les muscles sous vide issus de la découpe vendus par catégorie, par exemple le faux filet, ou sous forme reconstituée comme les steaks hachés. La troisième étape consiste à élaborer les morceaux de viandes issus de la deuxième transformation. Les principaux produits sont les viandes piécées en U.V.C. (Unité de Vente Consommateur) mais aussi tous les produits de charcuterie et de salaison. Il s'agit de produits frais ou surgelés, piécés ou hachés, voire préparés (comme les brochettes et saucisses) et présentés en barquettes spécialement pour la clientèle de la grande distribution.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       L'industrie charcutière, traiteur et transformatrice de viandes est la troisième industrie alimentaire française et la deuxième industrie transformatrice de viandes de l'Union européenne. Cette grande variété se décline en grandes familles de recettes et de spécialités : les jambons cuits, les jambons secs, les lardons, poitrines, les saucissons secs, les saucisses, les pâtés et terrines, les rillettes, les boudins, les andouillettes, les tripes, les conserves de viande bovine, les charcuteries pâtissières, les plats cuisinés, les salades-traiteur.

 

        Les défenseurs de la cause animale n’interviennent plus dans cette étape, puisque la bête est morte. En revanche, la transformation de la viande est pointée du doigt pour ses méfaits sur l’environnement. Le Ministère chargé de l’agroalimentaire a mis en place Le Réseau Mixte Technologique (RMT) qui est un outil de partenariat scientifique et technique  sous la direction de l’ACTIA. L’ACTIA est une structure nationale de coordination entre les instituts techniques de l’agro-alimentaire. En 2010, l’ACTIA et le RMT ont publié un rapport intitulé Viandes, découpes et transformation, guide d’aide à l’application des meilleures technologies disponibles. Les problématiques environnementales clés identifiées par ce rapport pour le secteur de transformation de la viande sont la consommation d’eau, les eaux usées, la pollution de l’air, les odeurs, les extrants solides et l’utilisation d’énergie pour le chauffage et le refroidissement. “La consommation d’eau atteint parfois 14 m3/tonne au lieu de 3 à 5m3/t environ, qui est la consommation moyenne”.  D’après la FAO (l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et la nourriture) les principaux effets du processus de transformation des produits animaux sont attribués à l´élimination des eaux résiduelles. “Quand celles-ci sont déversées dans les eaux de surface, elles provoquent une baisse de l´oxygène dissous, contribuant ainsi à l´appauvrissement et à la destruction de la vie aquatique, et apportent de l´azote et des phosphates, qui accélèrent le processus d´eutrophisation et épuisent les ressources en oxygène”. Responsabiliser l’étape de transformation de la viande pourrait donc passer par une réduction de la pollution et une meilleure prise en compte du respect de l’environnement.

 

      Cependant, n’oublions pas un acteur important dans cette arène, qui est le consommateur et envers lequel une autre forme de responsabilité s’impose. Celui-ci réclame de plus en plus de produits transformés et de plats cuisinés, bien souvent à base de viande. Cette intensification de la transformation des produits répond donc à une hausse de la demande, ce qui accroît fortement la production de déchets. Ainsi s’affrontent une vision de la responsabilité envers l’environnement, et une autre envers le consommateur et ses demandes.

 

         Le rapport d’information du Sénat n° 784, fait “au nom de la mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe : élevage, abattage et distribution“ et datant de juillet 2013 explique que “la viande fait l’objet de transformations de plus en plus sophistiquées, car les consommateurs réclament des produits plus élaborés et, dans le même temps, plus faciles à préparer et à conserver. Le consommateur cherche ce faisant à gagner du temps dans la préparation des repas et à compenser la perte du savoir-faire culinaire.” Ainsi, cette évolution de la demande explique le développement, ces dernières décennies, du secteur de la quatrième transformation, et en particulier du secteur des plats préparés, frais ou surgelés. La demande pour les produits élaborés augmente pour tous les types de viande, mais “il en résulte qu’aujourd’hui, 70% de la viande de porc est transformée en charcuterie ou en plats préparés. C’est aussi le cas pour 30 % de la viande de volaille et pour 20 % de la viande de bœuf”.

         Cependant, ce rapport explique aussi les conséquences d’une telle demande sur les éleveurs, et fait apparaître un niveau de responsabilité vis-à-vis de l’amont de la chaîne de production, que nous n’avions pas encore explicité. “Plus le produit est élaboré (mélange d’ingrédients, marinade, sauce, cuisson...), moins la qualité de la matière première est importante aux yeux des industriels et des distributeurs : seule la maîtrise de son prix devient un facteur essentiel.” Cela représente donc un réel danger pour les éleveurs. Un reportage diffusé sur D8 le 7 mai 2014 s’est penché sur la fabrication du poulet industriel et a montré que dans les grandes surfaces, les plats à base de poulet se sont multipliés. Frites de poulet pané, saucissons à base de poulet, saucisses cocktail 100% poulet… Mais comment sont fabriqués ces produits ? Aucune société n’a voulu répondre aux questions des journalistes.. Le reportage éclaire le fait que la transformation de viande est une étape industrielle dont les processus ne sont pas révélés au grand jour, et où beaucoup d’entreprises et d’acteurs se permettent certains écarts vis-à-vis de la réglementation. Il s’agit par exemple de mélanger de la viande de cheval avec de la viande de boeuf comme ce qui fût dénoncé lors du scandale de Spanghero, au sujet duquel le rapport du Sénat de juillet 2013 explique qu’ “en dépit des nombreuses obligations qui incombent aux opérateurs (ndlr: de l’abattage, découpe et transformation) , ceux-ci ont cependant toujours la possibilité de contourner intentionnellement la législation sanitaire, et notamment de procéder à des falsifications d’’étiquetage.

 

     Venons-en maintenant au conditionnement. En protégeant les viandes de l’environnement extérieur, il permet d’empêcher une contamination des produits au cours des manipulations et du stockage. Il existe plusieurs modes de conditionnement : sous film étirable, sous vide, sous atmosphère modifiée, dans un papier "boucher" spécifique. La réglementation européenne (Règlement (CE) n° 2073/2005 de la Commission du 15 novembre 2005 concernant les critères microbiologiques applicables aux denrées alimentaires), contrairement à celle de certains pays étrangers (États-Unis et Brésil, par exemple), interdit l’utilisation de conservateurs ou le recours au procédé de l’ionisation pour préserver la qualité microbiologique des viandes fraîches.

 

      Les acteurs de  filière de la viande eux-mêmes ont compris l’intérêt de maîtriser les risques sanitaires, et notre rencontre avec INTERBEV au salon de l’agriculture l’a démontré : les établissements de transformation, comme les abattoirs, doivent disposer d’un agrément attestant du respect de la réglementation sanitaire en vigueur. Ces entreprises (abattoirs, ateliers de découpe ou de transformation) ont une obligation de résultat. Elles doivent par conséquent définir les moyens les plus efficaces pour garantir les objectifs sanitaires fixés par la réglementation. C’est sur l’obtention de ces résultats qu’elles sont jugées. L’ensemble de ces mesures constitue le plan de maîtrise sanitaire. Ce dernier doit être revu régulièrement et fait l’objet de contrôles réguliers par les services vétérinaires.

 

         La commercialisation est l’étape qui fait le lien entre les professionnels de la filière viande et les consommateurs. Les tenants de la responsabilité sont donc les mêmes que pour la transformation et le conditionnement, qu’ils répondent à des besoins de traçabilité, d’hygiène ou de respect de la chaîne du froid. C’est une étape qui est contrôlée par les autorités étatiques, d’après les exigences européennes. Notons toutefois que ces contrôles, comme  cela nous a été confirmé par Paul Mennecier, inspecteur en chef de la santé publique vétérinaire au sein de la DGAL, sont réalisés sur la base d’une évaluation des risques, et ne sont donc pas très fréquents (pour plus d’informations sur la nature de ces contrôles, rendez vous dans l’onglet “Consommation” puis “Santé” de notre site).

 

Chaîne du froid et responsabilité envers le consommateur

 

       L’importance du respect de la chaîne du froid prend ici tout son sens, dans la mesure où les viandes sont transportées, acheminées vers leur lieu de vente et doivent être conservées dans des conditions optimales. Le rapport d’information du Sénat n° 784, fait “au nom de la mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe “ et datant de juillet 2013 fait état des principaux risques aux stades du transport et du stockage. “Ils sont liés à la gestion des températures et notamment aux ruptures de la chaîne du froid, qui peuvent favoriser le développement de certaines bactéries. Les viandes fraîches peuvent être soit réfrigérées (-1,4°C), soit surgelées (abaissement fort et rapide de la température du produit à une valeur inférieure ou égale à - 18°C). Toute rupture de la chaîne du froid avant la cuisson des produits permet une reprise de la multiplication des micro-organismes présents et réduit la durée de leur conservation.” Chacune des phases de conservation, de préparation et de cuisson des aliments en restauration familiale comme en restauration hors foyer peuvent contribuer à exposer les consommateurs, que ce soit par contamination immédiate ou par amplification d’un risque préexistant. On pourra ainsi retrouver des Escherichia coli entérohémorragiques dans des steaks hachés insuffisamment cuits. La contamination par Salmonella peut également résulter de la consommation d’’aliments carnés crus ou peu cuits. Aussi le respect des bonnes pratiques d’’hygiène est-il particulièrement important à domicile comme en restauration hors foyer, notamment en restauration collective.

 

       On réalise que la responsabilité envers le consommateur est primordiale dans cette étape, et qu’elle est étroitement surveillée et contrôlée. INTERBEV, interrogé au Salon de l’Agriculture 2014, expliquait que des contrôles inopinés des denrées ont également lieu dans les magasins, les établissements de restauration collective ou commerciale.

 

Les 3 types de distribution

 

        La distribution est partagée en trois grands circuits : la grande distribution, la distribution traditionnelle et la restauration. La grande distribution regroupe 15 à 20 000 points de vente, les artisans bouchers sont au nombre de 15 000, les artisans charcutiers traiteurs environ 4000. La distribution de la viande passe à près de 80 % par les GMS (hypermarchés, supermarchés, hard-discounts). Nous avons vu dans l’étape découpe, transformation et conditionnement que certaines enseignes transforment elles-mêmes la viande par l'intermédiaire de leurs filiales.

 

      Concernant la distribution de viande bovine, après l’élevage et le transport des bêtes interviennent d’abord les abatteurs. Une petite partie des carcasses est ensuite vendue directement par l'éleveur (en vente directe à la ferme). Puis, les chevillards (grossistes en viande de boucherie, commissionnaire vendant la viande aux détaillants) organisent la vente  des 160 000 boeufs abattus par an, en les commercialisant soit en carcasses, soit en muscles, soit en produits élaborés de type steak haché ou en  U.V.C.I.  (Unité Vente Consommateur de fabrication Industrielle, autrement dit les viandes vendues en barquettes). La distribution de la viande s’opère alors par 2 circuits : la boucherie artisanale et les grandes et moyennes surfaces (GMS). Preuve que la responsabilité envers le consommateur est ici primordiale, une partie des viandes est commercialisée sous signe officiel de qualité et d'origine. Comme il est démontré dans la partie consommation de notre site, le consommateur final pèse sur l’amont de la chaîne de production de la viande. Par ses inquiétudes et sa demande, il incite à la création de labels, acte commercial visant à attester de la qualité et de l’origine.

 

          La distribution de la viande de porc est elle aussi divisée entre la grande distribution du porc qui regroupe les Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) et la distribution traditionnelle, dite de proximité. La grande et moyenne distribution compte de 15 000 à 20 000 points de vente en France. La viande de porc et produits de charcuterie y sont vendus en libre service ou à la coupe. Certains magasins réalisent également de la découpe au sein de leur point de vente.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Faut-il aller vers plus de transparence ?

 

       Le responsable du rayon "boucherie" d’une GMS travaille à le mettre en valeur afin de déclencher l’acte d’achat du client. Aujourd’hui le consommateur réclame plus de transparence, et influence ainsi la commercialisation et la présentation des produits. Le choix des produits, la réception des marchandises, l’animation de son équipe de vente, la gestion des stocks et de l’étiquetage des produits font partie du quotidien d’un responsable de rayon “boucherie”. Concernant la commercialisation du porc, la distribution traditionnelle, dite de proximité, compte près de 15 000 boucheries et 4 000 charcuteries artisanales. L’artisan boucher-charcutier s’approvisionne en viande auprès des abattoirs, chez des grossistes ou directement chez les éleveurs. Il travaille la viande et réalise des plats, telles des spécialités bouchères (paupiettes, plats cuisinés, etc.). En boutique, il met en valeur ses réalisations et renseigne le client sur l’origine de la viande, le conseille sur le choix d’un morceau et la manière de le cuisiner. L’artisan charcutier-traiteur transforme la viande de porc et fabrique des produits de charcuterie sous toutes leurs formes. Il cuisine aussi des plats traiteurs, chauds ou froids. Il les propose à la vente et conseille sa clientèle sur la manière de les consommer. Il se livre également à une activité de traiteur de réception.

 

         Enfin, pour finir, il convient de parler de la distribution de la volaille que nous n’avons pas encore abordée. Les circuits de vente du poulet sont très diversifiés. Toutefois, les consommateurs se tournent de plus en plus vers les GMS qui assurent l’écoulement de 80% des produits destinés aux ménages. Certaines développent d’ailleurs un concept de mise en avant des produits locaux. Ainsi, l’hypermarché reste incontournable en mettant dans ses linéaires toute la diversité de l’offre en poulet et produits dérivés. Les autres circuits restent une forme privilégiée de vente des poulets entiers tout au long de l’année et des produits festifs en fin d’année. Beaucoup de consommateurs apprécient le contact direct avec le producteur ou le professionnel qui apporte son expérience et son authenticité.

 

        La restauration est le troisième type de distribution, avec la boucherie et la grande distribution. Elle  se divise en DEUX sous-catégories :

  • la restauration commerciale (les restaurants proposant des menus à la carte),
  • la restauration collective dont 63% est en gestion directe - la collectivité gère le repas de l'achat des matières premières au travail du produit - et 27% en gestion concédée où la fabrication du repas est confiée à une société de restauration. Dans ces deux cas elle concerne la restauration sociale (secteur du travail, scolaire et santé-social) avec des repas préparés sur place ou en cuisine centrale (source).

     D’après le rapport d’information du Sénat n° 784, fait “au nom de la mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe“, "la restauration collective a connu un remarquable essor depuis 1955. En France, plus de cinq milliards de repas étaient servis chaque année dans ce secteur en 1990, et l’’audition des représentants du syndicat national de la restauration collective (SNRC) a confirmé que, dans son ensemble, la restauration hors foyer (RHF) représente aujourd’’hui sept milliards de repas par an pour un chiffre d'affaires de 67 milliards d'euros."

Dans ce contexte global, le Groupe d'étude des marchés de restauration collective et nutrition (Gem-RCN) a élaboré un document de référence, que l’’on désigne du même nom, et qui synthétise les recommandations nutritionnelles en restauration collective.

 

Circuits de distribution courts ou longs, quelles différences de responsabilité ?  

 

       Un circuit court renvoie à un mode de commercialisation des produits qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur (VD), soit par la vente indirecte (VI), à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Le phénomène, en pleine expansion est difficile à évaluer, et manque souvent de visibilité auprès des consommateurs qui n’en ont pas forcément connaissance. Les circuits courts agro-alimentaires constituent des innovations territoriales participant d’une reformulation des dynamiques locales via l’émergence de pratiques socio-économiques dont les implications relèvent des différentes dimensions du développement durable. Ils participent notamment d’un empowerment non seulement des producteurs, mais aussi de l’ensemble des partenaires territoriaux autour de la mobilisation en faveur d’une alimentation durable. Les circuits courts incarnent donc différentes notions de la responsabilité : une revalorisation du travail des producteurs et des partenaires locaux, une alimentation durable, une qualité élevée des produits à consommer, une traçabilité simple car réduite à un seul intermédiaire maximum et donc un certaine éthique de consommation pour le client. Cela est illustré par le  Projet Lauréat CASDAR 2010 Produire et commercialiser de la viande bovine en circuits courts. Elaboration d’un référentiel pour évaluer la performance technique, économique, sociale et environnementale et favoriser le développement des circuits courts de commercialisation, piloté par le Centre d’Etudes et de Ressources sur la Diversification (CERD), l’Institut de l’Elevage et la Trame (source).





 

CARTOGRAPHIE DES CONTROVERSES • ECOLE DE LA COMMUNICATION • SCIENCES PO • 2014