CONSOMMATION

         Entre scandales alimentaires, articles d’experts tous azimut, et actions des végétariens, la veille médiatique relève bien que la consommation de viande en elle-même reste un des principaux points d’échauffement de notre controverse. Ces derniers mois ont donc été riches en études scientifiques contradictoires, qui prônent tantôt le végétarisme, tantôt le carnisme.

 

Qui se préoccupe des enjeux sanitaires ?

 

      C'est une expérience que chacun a faite : les viandes que l'on trouve dans le commerce sont très souvent certifiées par un, voire plusieurs labels ou marques, censés garantir la qualité des produits ainsi que leur origine. Dans la loi française, le terme label n'est en principe applicable qu'aux distinctions délivrées par l'Etat, dont l'appellation précise est "signes officiels de qualité et d'origine". En réalité, le Label Rouge étant le plus connu et le plus apprécié, c'est par extension que ces signes sont communément appelés labels. Mais dans la pratique, des groupes privés cherchent à établir des gages de qualité indépendants des signes publics, par la façon dont ils sont présents sur les produits ou par les cahiers des charges auxquels ils font référence. Il s'agit alors de marques, comme Viande De France. Nous nous confrontons donc déjà à deux idées de la responsabilité : l'une toute française, qui fait intervenir l'Etat comme garant des normes de qualité, par le biais d'un outil réglementaire ; l'autre inscrite dans une logique commerciale, qui tend à fixer des règles de productions destinées à attirer la préférence du consommateur. Si les volontés sont différentes, les deux initiatives cherchent à valoriser une plus grande prise de responsabilité dans la production.

 

       En France, c'est donc l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) qui gère le millier de labels utilisés en France, telles que les Appellations d'Origine Protégée, par l'intermédiaire d'organisme de contrôle. Pour les viandes fraîches, il existe plus de trois cent cinquante produits qui peuvent revendiquer un signe, auxquelles s'ajoutent les soixante produits à base de viande (cuisinée, salée, fumée...) qui peuvent être distingués par l'INAO. Les distinctions délivrées sont de trois types : les appellations d'origines, les indications géographiques protégées, et les labels rouges. Chacune a son propre cahier des charges, et, bien entendu, de nombreux acteurs de la filière émettent des désaccords à leur sujet. Notre objet n'est évidemment pas de tous les examiner dans le détail, car nous avons affaire à une multitude de “sous-controverses”. Nous chercherons plutôt à identifier les principes communs de fonctionnement de ces distinctions, et les différentes manières qu'elles ont d'envisager la responsabilité, en terme de qualité du produit, ou encore d'impact environnemental.

 

      Des certifications supranationales viennent se surimposer à celles que nous venons de citer. Il s'agit principalement de la certification Agriculture Biologique et du label Spécialité Traditionnelle Garantie, qui sont gérés par des instances européennes. (pour en savoir plus sur les articulations entre les signes européens et les signes français, consultez notre entretien avec Valérie Pieprzownik, chef du Bureau des signes de qualité et de l’agriculture biologique, et Djamel Djebbari, chef du Bureau des viandes et des productions animales, DGPAAT, Ministère de l’Agriculture).

 

       Le pendant privé des labels est représenté par des certifications que délivrent des organismes privés et théoriquement indépendants des groupes agro-alimentaires. Les certifications privées sont relativement récentes en France, car la première initiative de la sorte date du scandale de la vache folle, au début des années 2000, quand naît la marque Viande Bovine Française. A la différence des signes officiels, c'est une logique de marque qui s'applique à ces certifications privées. Le but est de rassurer le consommateur en lui donnant un argument de vente supplémentaire. Par conséquent, la filière a mandaté des organismes habilités à contrôler les maillons de la chaîne de production afin d'attribuer ces marques. C'est ce qu'a effectué INTERBEV avec le Comité français d'accréditation (COFRAC).

 

     Ces marques, signes et labels sont souvent présentés comme le témoignage d'un engagement de la part de la filière de production. Et si engagement il y a, des responsabilités en découlent. Nous essaierons ici de trancher dans l'enchevêtrement de ces labels pour comprendre comment, dans la construction même de ceux-ci, plusieurs conceptions de la responsabilité à l'égard du consommateur sont exprimées.

 

Comment sont construits les signes officiels ?

 

       Les signes officiels sont conçus en concertation entre l'Etat, les professionnels de la filière (production et transformation), les organismes certificateurs et des représentants des consommateurs. Le tout a lieu au sein de l'INAO, avec pour but de contenter tous les acteurs de la chaîne en leur assurant une représentativité paritaire. De cette concertation est issue une notice technique qui constitue un socle de pratiques que toute la filière de production doit respecter, de l'élevage à la transformation, en passant par l'abattage. C'est l'aspect réglementaire de ces signes, qui fixent des normes techniques. Seulement, en fonction de l'envergure du label, la notice technique est plus ou moins significative, notamment si le signe est applicable à plusieurs espèces. Nous y reviendrons lorsque nous développerons l'exemple du Label Rouge.

 

         Dans un deuxième temps, un porteur, c'est à dire un collectifs de professionnels de la viande, se réunit pour déterminer le cahier des charges. Ce groupement se fonde sur la notice technique et l'enrichit des techniques qui sont, selon lui, vectrices d'un ou plusieurs caractères spécifiques au produit. Celles-ci doivent ressortir par la comparaison avec un produit lambda.

           

        Dans un troisième temps, ce cahier des charges est soumis à l'INAO qui décide ou non de le valider. Le cahier des charges peut être retouché par la suite, et il est courant que des modifications y soient apportées pour s'adapter aux évolutions des attentes du consommateur.

 

        Dans la perspective qui est la notre, les signes officiels sont donc élaborés comme des outils de fiabilité pour le consommateurs, qui permettent de mettre en avant des produits carnés selon des standards de productions plus élevés que la stricte contrainte réglementaire. L’intention est donc d’orienter le consommateur pour l’informer de la qualité des produits qu’il choisit d’acheter. Pour ce faire, le site internet de l’INAO met à sa disposition les ressources lui permettant de comprendre sur quels critères un label est attribué.

 

    Focus sur le Label Rouge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photographie de produits carnés Label Rouge

Prise lors de notre visite au Salon de l’Agriculture

 

      Le Label Rouge est le signe officiel de qualité le plus apprécié du public (source). La distinction qu’il apporte aux produits carnés met en avant la qualité de ceux-ci. Le cahier des charges repose donc sur des qualités sensorielles telles que le goût ou la vue, le tout établi de manière comparative. L'appréciation de la qualité gustative relève évidemment de la subjectivité et se redéfinit à mesure que les goûts des consommateurs évoluent.

 

        Or ce label est l’objet de discussions en cela qu’il est appliqué à plusieurs espèces. Ses détracteurs expliquent par exemple que ce label a moins de valeur pour l’élevage porcin qu’il n’en a pour l’élevage de volailles. Pour ces dernières, des engagements ont été pris en faveur du bien-être des animaux, de l’environnement et des qualités gustatives du produit.  Le cahier des charges et la notice technique du label apportent donc beaucoup plus de contraintes à l’éleveur en faveur de la qualité du produit.  Ainsi, une volaille Label Rouge est élevée dans des entrepôts à la taille limitée, passe la moitié de sa vie à l’extérieur et connaît une croissance plus lente que des volailles standards. (pour connaître l’ensemble des normes de production des volailles Label Rouge, voir).

 

         A contrario, dans l’élevage porcin, la différence entre des produits Label Rouge et des produits standards est loin d’être aussi conséquente. Le principal point d’échauffement concerne l’espace dont disposent les bêtes dans leur bâtiment d’élevage. Pour se représenter la chose, imaginez qu’un porc label rouge dispose d’un espace supplémentaire qui correspond à une feuille A4. (Pour en savoir plus sur le Porc Label Rouge, voir)

 

       En d’autres termes, les contraintes apportées par un élevage Label Rouge en faveur de la qualité sont plus ou moins importantes selon l’espèce concernée. Certes, il est difficile de créer un label qui soit homogène pour tous les types d’espèces, mais, en comparant ces deux certifications censées être comparable, on voit bien que le Label Rouge n’induit pas des contraintes égales selon les produits.

       On voit ici la limite du fonctionnement de ces certifications : toutes deux reposent sur la même notice technique, mais les cahiers des charges qui ont été élaborés par les groupement de professionnels n’ont pas eu le même niveau d’exigence. Comment justifier cet écart ? Voici l’explication que nous donnait Djamel Djebbari, chef du Bureau des viandes et des productions animales, DGPAAT, Ministère de l’Agriculture : “Sur la volaille, vous citiez le Label Rouge, il y a un historique, ça a 60 ans. La filière porcine, comme vous le savez, c’est orienté grand Ouest, mais plus Bretagne que Pays de Loire, vous êtes sur un produit standard, mais pourquoi ? Parce que 70% de la production porcine, c’est de la charcuterie. Sur la volaille, on revient de très loin, il y a un vrai historique derrière. Sur le porc, on est en train d’observer qu’on arrive au bout d’un système de standardisation en charcuterie, et il y a tout le développement des signes de qualité sur la charcuterie. Finalement, on est arrivé à mettre en place ces normes bien-être, ça a mis plus de temps, et il a eu des contraintes communautaires qui nous ont obligé à mettre en place des normes bien-être et on a mis en place des systèmes d’aides, plus de 50 millions, pour aider nos éleveurs? La caractéristique, le symbole, c’est ces truies qui sont “séquestrées” à travers des bardage pour leur gestation. Ça, effectivement, maintenant, c’est de la gestation en groupe. Tout ça, ça a mis du temps à arriver, c’est récent dans la filière porcine. C’est lié à la montée des attentes en matière de bien-être animal qui se sont révélées. Et surtout, par exemple sur la volaille, il a eu la même chose sur les oeufs en cage. Il a fallu agrandir les espaces. Tout ça est très récent.”

 

Le paradoxe des labels

 

          Les labels ne font pas l’unanimité. Benoit Couthier, éleveur de bovins que nous avons rencontré sur son exploitation bretonne nous explique ses réticences :

 

Que pensez-vous des différents labels, et notamment du nouveau label « Viandes de France » ?

Est-ce que votre viande est labellisée ?

 

         “Je suis contre les labels, je trouve que c'est une grosse arnaque. Je ne trouve pas que ce soit une marque de qualité ; il faut la main de l'éleveur, il faut que l'éleveur connaisse son métier... Il y a des éleveurs qui ne connaissent pas leur métier... Il y a les passionnés, et puis ceux qui font dans la facilité, qui font « de la cueillette », qui vivent avec les primes pour la grande distribution. Pour moi, avec le bio on tombe dans l'extrême : on n'aide plus, on retire tous les engrais, et on prend ce que l'animal a bien voulu prendre dans la nature, mais ça ne veut pas du tout dire que c'est de la bonne qualité. Pour moi, le label, ça ne veut rien dire. Il y a de bons éleveurs bio, de mauvais éleveurs bio... On met tout dans la même barquette ! Moi j'essaye d'amener l'animal dans le meilleur de ses capacités pour que le goût soit le meilleur. Tiens, je vais te donner un exemple : il y a quinze ans, on avait de bonnes vaches, le label étaient en pleine explosion, les gars qui voulaient le label manquaient de bêtes. Donc ils m'ont demandé si je pouvais leur donner mes bêtes, car elles sont de bonne qualité. J'ai signé un papier. Mes vaches sont de bonne qualité, mais ça veut rien dire, s'il y a du manque on donnera tout et n'importe quoi... Tout ça c'est des conneries. Ceux qui sont à la tête du label vont gagner de l'argent, mais c'est tout…

 

        On voit donc apparaître un paradoxe : les labels et autres certifications privées représentent des enjeux financiers doublement importants. L’éleveur doit bien souvent réaliser des investissements conséquents pour respecter les normes. De plus, c’est à lui de démarcher un organisme indépendant pour obtenir la certification, les frais de contrôle étant à sa charge. A l’échelle d’une exploitation, c’est une véritable orientation stratégique que de chercher à remplir les conditions d’obtention de tel ou tel signe. Par conséquent, les élevages industriels de grande taille sont souvent plus à même d’assumer ces coûts que des élevages traditionnels ou familiaux. Un éleveur qui perd une labelisation connaît une tragédie économique, quand celui qui cherche à l’obtenir prend d’énormes risques. Mais les enjeux financiers se répercutent également sur toute la chaîne de production, puisque un produit carné labelisé est un produit qui a plus de valeur. Dès lors qu’un label est reconnu et suscite la préférence des consommateurs, c’est toute une économie qui se développe autour de celui-ci. Et c’est, en quelque sorte, ce que nous disait Jean-Michel Lamerant, éleveur de porcs à Fleurbaix, à propos des labels porcins qui demeurent rares (lire son interview complète) :

 

        “Les labels ça rassure quand tu as des soucis. Cela te fait un contrôle. Nous on en a quand même un, on est VPF, Viande de porc français. On est certifiés Carrefour. Dans le porc il n’y a jamais eu de problèmes sanitaires, ce qui fait qu’il n’y a jamais eu le besoin de rassurer les consommateurs. Ce qui fait que les systèmes commerciaux qui pourraient se démarquer, ça ne marche pas. Car le porc  reste toujours une viande basique. C’est presque la viande du pauvre. Tu trouves du porc à moins de 5€. Ils ont bien développé des labels mais ça n’a pas marché. Dans le Nord Pas de Calais tu as le label PHP « Porc du Haut Pays ». Eux ils ont un cahier des charges en disant « nos porcs sont élevés sur paille et sont destinés à l’étal. ». L’étal c’est le boucher. Ce sont des marchés de niche. L’autre fois je discutais avec des bouchers qui disaient moi je ne veux pas de viande de ce label. Après ils ont développé un label pour des porcs nourris avec de la ? C’était soit disant pour éviter des problèmes de cholestérol. Ca faisait des porcs oméga 3. Ça fait 3 fois que le label est revendu. Ce n’est pas terrible, il vaut mieux rester dans le basique et ainsi tu peux vendre à n’importe qui. Car tes porcs en label, une partie va être vendue en label certes, mais le reste va être vendu à des prix très bas de gamme. Donc là t’es mal.

 

De nouveaux labels

 

       Notre controverse étant particulièrement active depuis le scandale de la viande de cheval, il est intéressant de voir comment la filière a cherché à rassurer les consommateurs à l’aide de certifications. Récemment, la marque Viandes de France a fait beaucoup parler d’elle car elle a reçu le soutien du gouvernement. En l’occurrence, cette initiative recoupe bien différents aspects de la responsabilité. En effet, elle prend en considération la responsabilité de la filière à l’égard du consommateur, qui, inquiété, demande cette transparence ; mais également un engagement économique, dans la mouvance du made in France promu par le gouvernement, qui consiste à entretenir la santé économique de la filière agro-alimentaire et des acteurs qui en vivent.

 

          Il existe également des débats autour d’un label “bien-être animal”, et, nous l’avons vu, certains signes de qualité en ont fait une partie intégrante de leur cahier des charges. Cela correspond à une sensibilisation croissante de l’opinion aux conditions d’élevage, opinion qui, de plus en plus, attend de la filière qu’elle prenne cette responsabilité (pour en savoir plus, voir).

 

         Ainsi, en abordant la question des labels de qualité, on voit comment la question est intimement liée à la totalité de la controverse et implique des vues différentes de la responsabilité.

    



 

         Dernière étape de notre enquête, la consommation en est néanmoins un point non négligeable. Il faut savoir que c’est même de celle-ci qu’est partie notre controverse, puisque ce sont les différentes crises alimentaires qui nous ont fait nous intéresser plus en profondeur à cette question de la responsabilité dans la production de viande. Vous avez ainsi pu vous apercevoir, en parcourant notre site Internet, que certaines visions de la responsabilité se construisent exclusivement envers le consommateur, ce qui a un impact tout au long de la chaîne de production. Inversement, c’est le consommateur, en achetant tel ou tel type de produit, qui permet et maintient tel ou tel système de production.

 

         Aujourd’hui, la consommation de viande fait l’objet de nombreuses critiques, y compris de la part de personnalités publiques. Aymeric Caron, journaliste polémiste de radio et de télévision, a publié en 2013 un livre intitulé No Steak. Le but de ce livre est d’expliquer pourquoi, dans un futur proche, les hommes ne mangeront plus de viande, parce qu’ils ne pourront plus le faire. Il justifie sa thèse par des arguments d’ordre pratique, qui tiennent en ce que la démographie va exploser, et que les moyens disponibles pour nourrir la planète ne suffiront plus. Des arguments d’ordres sanitaires, ainsi que des raisons morales et éthiques, invoquent un comportement de l’homme “incohérent” à l’égard des animaux. L’association L214, qui se fait régulièrement entendre dans les médias, partage cette thèse, militant de manière virulente, à travers un certain nombre d’actions plus ou moins violentes, pour la fin de la consommation de viande et de tout système d’élevage.

 

         Mais commençons ensemble par faire le point sur les chiffres de la consommation de viande. Un rapport d’information du Sénat, fait “au nom de la mission commune d’information sur la filière viande en France et en Europe”, communique certaines informations intéressantes. Il y est mentionné que la consommation de viande est à la baisse. En effet, selon FranceAgriMer, de 1970 à la fin des années 1990, la consommation de viande en France a connu une augmentation régulière, passant de 3,93 millions de tec en 1970 à 5,66 millions de tec en 1998, ce qui correspond à une progression annuelle de 1,6 %. Cette augmentation, supérieure à la croissance démographique durant cette période (qui était de +0,7 % par an), révèle un accroissement de la consommation individuelle de viande : en 1970, un Français en consommait 77,6 kg et 94,5 kg en 1998 (+ 17 kg). Depuis, la consommation totale française s’est stabilisée, mais compte-tenu de la croissance démographique, la consommation individuelle a diminué de 6,7 kg sur 12 ans pour atteindre 87,8 kg en 2009.

En outre, en quarante ans, la structure de la consommation s’est largement modifiée. Ces changements ont principalement profité aux viandes blanches, et tout particulièrement à la viande de volaille.

 

         En examinant ce rapport, nous nous rendons compte que, dans les filières bovine et porcine, c’est le succès des produits transformés, comportant moins de viande, qui joue un rôle dans la baisse de la consommation. En effet, selon ce dernier, "la viande fait l’objet de transformations de plus en plus sophistiquées, car les consommateurs réclament des produits plus élaborés et, dans le même temps, plus faciles à préparer et à conserver. Le consommateur cherche ce faisant à gagner du temps dans la préparation des repas et à compenser la perte du savoir-faire culinaire" (si cette question vous intéresse et que vous souhaitez en savoir plus : rendez-vous sur l’onglet “Transformation et conditionnement” de notre site). Notons tout de même que ce n’est pas le cas pour la volaille, dont la consommation par habitant en France est de 25,2 kg/an, soit un peu plus du double de ce qu’elle était en 1970. Cette consommation a augmenté de + 7,2 % sur la période 2006–2011. La viande de volaille bénéficie en effet d’une grande accessibilité en termes économiques : elle est l’objet de nombreuses promotions en raison d’une concurrence particulièrement forte entre les entreprises du secteur. Elle ne fait l’objet d’aucun interdit religieux. Par ailleurs, elle dispose auprès des consommateurs français d’une bonne image diététique et sanitaire. Elle tend à se substituer à d’autres viandes, et notamment à la viande bovine.

         Djamel Djebbari, chef du Bureau des Viandes et des productions animales au sein de la DGPAAT, est d’accord avec cette analyse sur l’essor des produits transformés. Néanmoins, pour ce dernier, ce n’est pas la seule cause de la baisse de consommation de viande. “Vous avez l’approche de nombreux nutritionnistes consistant à manger moins ou pas de viande pour protéger la santé. Cette dimension agit également sur  le consommateur. Vous avez tous ces facteurs, sanitaires, environnement et santé qui font que la société tend à consommer moins de viande, et de viande rouge en particulier. En pratique, nous observons que dans les pays développés, avec l’évolution du pouvoir d’achat, vous avez d’abord une augmentation de la consommation de viande, puis une stagnation de la consommation de viande, et enfin une érosion de cette consommation. Cette érosion est liée aux attentes sociétales, mais également au fait c’est que l’on ne consomme plus la viande de la même manière. On achète des plats cuisinés dans lesquels la portion de viande est très réduite.” Il aborde trois autres aspects : la nutrition, la sécurité sanitaire, et l’environnement. Ce sont trois arguments que nous avons retrouvés tout au long de nos recherche. Nous voyons donc ici comment toutes les étapes décrites dans notre controverse présentent des liens entre elles.

 

         Si nous regardons plus attentivement les dates citées dans le rapport, nous remarquons qu’elles coïncident avec les premiers scandales alimentaires, dont la vache folle fut le point de départ, à fin des années 1990. Ces scandales seraient-ils à l’origine de la baisse de la consommation de viande? Paul Mennecier, Inspecteur en chef de la santé publique vétérinaire au sein de la DGAL (Direction générale de l’alimentation), nous a communiqué son ressenti sur cette question. “On a aujourd’hui un vrai paradoxe, qui est un niveau de protection jamais atteint. On a une alimentation qui n’a jamais été aussi sûre qu’aujourd’hui. (...) parallèlement, la perception de l’alimentation par les consommateurs nous montre des craintes qui ne sont pas justifiées objectivement, qui sont issues que de tout temps, les gens ont eu peur de ce qu’ils mangeaient.

En effet, si nous nous appuyons sur l’ouvrage de Madeleine Ferrières, historienne et professeur d’histoire à l’université d’Avignon, intitulé Histoire des peurs alimentaires : du Moyen-âge à l’aube du XXème siècle, nous comprenons que la remise en question par le consommateur de ce qu’il a dans son assiette ne date pas d’hier. “Au Moyen-âge, des écrits sur la gestion de risques sanitaires montrent combien les gens étaient déjà, à l’époque, inquiets compte tenu de risques potentiels perçus, liés à leur alimentation. Donc les choses que nous percevons aujourd’hui ne sont en rien finalement différentes de ces craintes qui ont toujours existé.” nous a aussi confié Paul Mennecier. Mais si les consommateurs ont toujours eu ces craintes, comment expliquer que la consommation ait baissé de manière significative ces dernières années ?

 

       D’après Paul Mennecier, le problème viendrait des médias, puisque nous entendons parler de la production de viande seulement lorsqu’une crise éclate. “On n’entend parler que des alertes qui ne manquent de survenir en dépit des précautions qui sont prises à toutes les étapes. Le risque 0, dans la matière dans laquelle nous évoluons, n’existe pas. On a toujours des non conformités qui peuvent survenir.” Nous a-t-il expliqué. “Le nombre important des alertes que nous recevons, 2000 alertes, est en augmentation ces dernières années. Cette augmentation est liée au fait que l’on a des méthodes de plus en plus sophistiquées pour repérer ces alertes et les gérer, et non pas liée au fait que ces situations se soient dégradées.” Vous remarquez donc, en lisant ces lignes, que la sécurité sanitaire est un enjeu essentiel, qui nécessite quelques approfondissements. C'est pour cela que nous avons choisi de nous y attarder.

 

        Mais la consommation soulève aussi d’autres questions auxquelles nous nous devons d’apporter certains éléments de réponses. Les labels et signes de qualité, dont nous avons la sensation qu’ils se multiplient - récemment a été créé un signe de qualité “Viande de France” - nous amènent à nous interroger. Que signifie l’avènement de ces labels et signes de qualité ? Quelle définition de la responsabilité mettent-ils en avant ? Est-ce le consommateur qui se responsabilise dans sa consommation ? Ou est-ce le gage d’une production responsable ? Mais que signifie, selon les différents labels et signes de qualité, une production responsable ? Nous allons le découvrir ensemble.


 

CARTOGRAPHIE DES CONTROVERSES • ECOLE DE LA COMMUNICATION • SCIENCES PO • 2014

       Vache folle, scandale de la dioxine, grippe aviaire, salmonelles, Buffalo Grill et ses soixante kilos de viande présumée avariée, contamination de steaks hachés par la bactérie E. coli... Depuis les années 1990, la consommation de viande est jalonnée de crises sanitaires qui ont fait les gros titres de l’actualité. Dès lors, des craintes ont commencé à naître à l’égard de ce produit alimentaire, arrivé en abondance dans nos assiettes après la Seconde Guerre mondiale. Et, selon le rapport Prix, production et consommation de viande bovine en France et dans l'Union européenne, publié par la DGCCRF, les scandales à répétition sont, avec l’augmentation du prix de la viande, la raison majeure de la réduction de la consommation de viande dans les pays industrialisés ces derniers années.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       Les cartes de scientométrie, qui permettent de comprendre où se situent les noeuds principaux de la présente controverse dans les publications scientifiques, ont démontré un lien entre production animale, viande et santé publique (voir l’animation en introduction), témoignant ainsi de l’importance des scandales sanitaires cités ci-dessus. Depuis les années 1990 et la première crise de la vache folle, les exigences du consommateurs ont changé. S’est ainsi développé un pan important de la réglementation communautaire, qui impose à toutes les étapes de la production des contrôles réguliers effectués par les autorités compétentes.

 

        Aussi avons-nous constaté que l’inspection des viandes et des produits d’origine animale est une étape primordiale en matière de santé publique. Elle fait partie intégrante du système général de surveillance de certaines maladies animales et de vérification de la conformité aux normes de bien-être des animaux. L’EFSA, autorité européenne dont le champ d’activité s’articule autour de la sécurité sanitaire des aliments, y accorde ainsi une place capitale : elle constitue un point de contrôle important pour l’identification précoce de problèmes potentiels susceptibles d’avoir des conséquences pour la santé publique.

 

      Pour les autorités étatiques, les ministères, ces contrôles constituent un impératif pour rassurer le consommateur sur ce qu’il a dans son assiette. Trois ministères interviennent à cette étape : le Ministère de l’Agriculture et sa Direction générale de l’alimentation (DGAL), le Ministère de la Consommation et sa  Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et le Ministère de la Santé et sa Direction générale de la santé (DGS). Ces trois directions sont sous tutelle de l’ANSES, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement, et du Travail. L’ANSES assure le volet scientifique de la protection sanitaire, en produisant des études qui guident les interventions des ministres et aident donc à la prise de décision.

 

      Alors que la DGS et la DGCCRF interviennent surtout en cas de crise sanitaire, la DGAL est chargée de procéder à des contrôles réguliers à toutes les étapes de la production. Les exigences de ces contrôles sont déterminées par la législation européenne. Ils touchent tous les éléments chimiques et biologiques susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la santé du consommateur. Cela nous a été précisé par Paul Mennecier, inspecteur en chef de la santé publique vétérinaire au sein de la DGAL..

 

         Dès lors, nous constatons une première vision de la responsabilité, qui s’exprime vis-à-vis du consommateur, en lui assurant que le produit qu’il consomme est sans risque pour sa santé. Et, dans la mesure où la consommation signifie que le produit est consommé par l’homme, nous concevons que la vision de la responsabilité s’affirme à l’égard du consommateur. Mais y a-t-il d’autres visions de la responsabilité qui se dessinent ? Et comment?  

 

      Avant tout et pour bien comprendre ce qui se joue ici, il faut savoir que c’est le droit européen qui chapeaute les exigences en matière de sécurité sanitaire. Cette réglementation est née dans les années 2000, au sein d’un corpus législatif intitulé le “Paquet hygiène”. La publication de ces textes était concomitante aux nombreuses crises sanitaires (pas seulement alimentaires) qui sont apparues dans cette période, provoquant un grand choc auprès des populations européennes. Plusieurs principes y ont été consacrés pour modifier le système de sécurité sanitaire des aliments. Le règlement communautaire 178-2002 a ainsi créé l’EFSA, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments que nous mentionnons plus haut : c’est une des mesures mises en place pour améliorer la sécurité sanitaire. Ce même règlement établit un principe général qu’il est essentiel de retenir : les entreprises alimentaires sont responsables de la sécurité des produits qu’elles proposent sur le marché. Notons que le principe de précaution joue aussi un rôle important en matière de sécurité sanitaire, lorsque les autorités étatiques font face à des situations d’incertitude scientifique sur un sujet.

 

         Il faut aussi mentionner que la DGAL participe aux discussions de préparation de l’ensemble des textes européens qui ont trait à ce domaine. Elle est partie prenante au niveau du Conseil de l’Europe ainsi qu’au Parlement Européen. Nous avons appris par Paul Mennecier qu’il est même très fréquent que la France obtienne gain de cause sur les points qu’elle souhaiterait voir intégrés dans la réglementation. Le dernier point qu’il nous semble utile de préciser est relatif à l’activité européenne en matière de sécurité sanitaire alimentaire. En mai 2010, la Commission européenne a sollicité l’aide de l’EFSA pour améliorer les fondements scientifiques à la base de la modernisation de l’inspection des viandes dans l’Union Européenne. Cela témoigne que la sécurité sanitaire de la viande figurait parmi les préoccupations importantes, qu’il s’agissait de traiter.

 

Une  recherche avancée sur les risques, gage de responsabilité ?

 

       L’EFSA a été chargée – en collaboration avec le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC) – de contribuer à l’introduction d’une approche fondée sur les risques dans l’inspection des viandes, à tous les stades de la chaîne de production. Cette réflexion en termes de risques peut être perçue comme un gage de responsabilité dans la mesure où elle pourra engager la prise de mesures de précaution. Le but n'étant pas d’agir à posteriori mais bien de prendre en compte l’incertitude et de la maîtriser au mieux.  Pour remplir ce mandat complexe, l’EFSA a fait appel à ses experts dans de nombreux domaines couverts par son mandat scientifique : dangers biologiques pour la santé, y compris les zoonoses (maladies animales transmissibles à l’homme), contaminants chimiques dans la chaîne alimentaire, santé et bien-être des animaux, méthodes d’évaluation des risques et collecte des données. L’agence a plus spécifiquement identifié et classifié les dangers présentés par la viande pour la santé publique et recommandé des améliorations possibles ou des méthodes alternatives d’inspection des viandes au niveau de l’UE, y compris la révision des méthodes actuelles qui peuvent être inadaptées à la détection des risques ou qui sont disproportionnées eu égard au risque concerné (voir le classement).

 

      Le classement couvre les dangers biologiques qui peuvent engendrer, chez l’homme, des maladies via la consommation de viande, telles que la salmonellose, la campylobactériose, la cysticercose, la trichinellose, la toxoplasmose. En outre, le classement fait aussi état des dangers chimiques, qui entrent principalement dans trois catégories : les résidus de médicaments vétérinaires (comme les substances antibactériennes ou les sédatifs), les substances anabolisantes non autorisées ou interdites (telles que les hormones de croissance ou les substances d’amélioration de la qualité de la viande) et les autres contaminants chimiques. Entre octobre 2011 et juin 2013, l’EFSA a publié ses six avis relatifs aux dangers pour la santé publique associés à l’inspection des viandes.

 

Une application complexe au niveau national

 

        Malgré la recherche avancée sur les risques sanitaires, l’application des mesures est complexe. Cela vient ainsi contrebalancer cette vision éventuelle de la responsabilité que la précision de la recherche pourrait nous amener à retenir.

 

     A l’échelon national, c’est l’ANSES qui est chargée de produire des recherches scientifiques s’appliquant à la sécurité sanitaire, permettant ainsi d’évaluer les risques. Nous avions mentionné que cette agence sanitaire était indépendante mais sous tutelle de trois Ministères qui lui fournissent un budget et peuvent aussi s’adresser à elle lorsqu’ils se posent des questions sur un sujet précis. Ainsi, les gestionnaires des risques que sont les ministères lui donnent des indications par rapport à ce qui doit être traité en priorité. L’Agence sanitaire fournit ensuite des avis, qui sont produits par des collectifs d’experts. Ces avis sont rendus par le Directeur Général de l’Agence et publiés sur leur site Internet en toute transparence. Après publication des mesures de gestion des risques sanitaires par les ministres, il est donc possible de vérifier que les indications des scientifiques ont bien été intégrées à la décision publique. Cette évaluation des risques sanitaires est capitale pour le décideur public, qui en a besoin afin de prendre une décision éclairée.

         Cependant, elle ne suffit pas : un ministre ne peut se contenter de cette évaluation dans sa prise de décision. Il faut pouvoir déterminer le coût et le bénéfice de la mesure, pour comprendre l’impact qu’elle pourrait avoir sur les filières concernées. D’après Paul Mennecier, c’est là que se situe toute la difficulté. En effet, il s’agit de classer différents scénarii, entre des mesures qui peuvent être extrêmement protectrices vis-à-vis du consommateur mais dont le coût est très élevé et qui peuvent avoir un impact très important sur l’ensemble des filières, et d’autres qui sont un peu moins protectrices mais qui ne posent aucune difficulté d’application. Parfois même, certaines mesures sont extrêmement coûteuses et présentent en outre un bénéfice sur la santé tout à fait marginal. La vraie difficulté est qu’il faut placer le curseur quelque part : les choses ne sont pas toujours simples. “Le risque 0, dans la matière qu’on traite, est extrêmement difficile à obtenir, mais bon on peut essayer d’y tendre le plus possible moyennant des mesures de plus en plus contraignantes. Mais est-ce que c’est bien proportionné ? Est-ce que c’est bien utile ? Est-ce que l’impact de ces mesures pour la santé en vaut vraiment la chandelle ?” nous a confié Paul Mennecier. Un débat sociétal intervient alors, afin de pouvoir placer le curseur à l’endroit qui semble le plus propice. “Madame Bachelot, par exemple, quand elle était ministre de la Santé, par rapport à la grippe aviaire, n’a pas suffisamment eu cet échange et ce débat pour savoir où placer le curseur, et elle a choisi, elle, en tant que décideur public, de mettre le curseur au plus haut niveau, et de lancer des campagnes de vaccination pour l’ensemble de la population. Ça lui a été reproché, parce que quand la grippe aviaire est arrivée, sur notre pays, ça n’a été ni plus ni moins que le même effet qu’une grippe hivernale tout à fait classique”.

       Cette vision de la responsabilité, qui tente de concilier la sécurité sanitaire avec la réalité de l’application des mesures, est discutée par certains acteurs impliqués dans des affaires de sécurité sanitaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Exemples de produits Cooperl - Arc Atlantique

 

       Le cas de la Cooperl Arc Atlantique, groupe coopératif agricole breton basé à Lamballe, dans les Côtes d’Armor, est assez révélateur de cela. La Cooperl, c’est le numéro 1 du porc en France, son chiffre d’affaire tourne autour de 2 millions d’euros, et le groupe fédère 2760 producteurs de porcs, emploie 4800 salariés, et élève près de 5,7 millions de porcs par an, dont la viande est traitée sur 14 sites industriels qui sont des propriétés de la coopérative, avec des flux commerciaux en France et à l’international. Ce groupe couvre l’ensemble des métiers de la production porcine, de l’élevage à la distribution. Ombre au tableau : en novembre 2012, une perquisition est effectuée au siège de la Cooperl, par la Brigade Nationale d’Enquêtes Vétérinaires et Phyto-sanitaires et la gendarmerie de Lamballe, sur la base d’une présomption de dissimulation de salmonelle. Le groupe fait alors l’objet d’une enquête judiciaire, portant sur les méthodes d’analyse de la présence de salmonelles dans certains de ses produits, mis en circulation avant novembre 2012. Cette perquisition met en avant le non-respect de la règlementation en vigueur, et le groupe est soupçonné d’avoir, entre 2010 et 2012, “maquillé” les résultats d’autocontrôles, de façon à commercialiser au prix fort environ 1500 tonnes de viande de porc contaminée. Il faut en effet savoir qu’une viande contenant des salmonelles peut être commercialisée après validation des autorités, si le produit comporte une mention précisant que la viande doit être cuite, afin d’éliminer la bactérie. Elle est ainsi vendue à un prix moindre. Le lendemain de cette perquisition, Cooperl revoit ses protocoles d’analyse sur la salmonelle afin d’être en parfaite conformité avec les exigences réglementaires de qualité et de sécurité sanitaire, et cette conformité est attestée par un accord conclu avec la DGCCRF. Néanmoins, l’enquête judiciaire est lancée, ce qui attire l’attention des médias. Le groupe publie alors deux communiqués successifs, en lien avec un article du Télégramme, le 14 et le 14 février 2014. “Nous confirmons faire l’objet d’une enquête judiciaire portant sur les méthodes d’analyse de la présence de salmonelles dans certains de nos produits avant novembre 2012. Une perquisition a eu lieu dans nos locaux en novembre 2012, faisant apparaître une probable mauvaise interprétation de notre part de la réglementation en vigueur qui a d’ailleurs fait l’objet de multiples évolutions ces dernières années. (...)” est-il écrit. Cooperl atteste aussi travailler de manière transparente avec les autorités sanitaires, et affirme avoir toujours eu pour préoccupation première d’assurer “une qualité irréprochable de nos produits pour les consommateurs. A ce titre, la fréquence de nos analyses est aujourd’hui deux fois supérieure à celle imposée par la loi.” Pour la Cooperl, il s’agit de faire en sorte de respecter la réglementation, du mieux possible, quand bien même cela peut les mener à des erreurs d’interprétation.

 

          Cela permet de pointer du doigt que la réglementation européenne, pour les acteurs représentés par les éleveurs ou la filière, est complexe, et par conséquent serait à l’opposé d’une démarche de responsabilité, puisqu’elle amène à des erreurs. Quand bien même Paul Mennecier n’est pas d’accord avec cela, et trouve la réglementation en matière de salmonelles très claire. Alors, la Cooperl a construit sa propre vision de la responsabilité, qu’elle exprime vis-à-vis du consommateur, certes, en garantissant que les contrôles sont effectués deux fois plus souvent que ce que la loi impose. Mais sur leur site Internet, on comprend aussi qu’ils y font entrer un engagement vis-à-vis de leurs salariés et adhérents, qui se manifeste par “la valorisation du travail de chacun” et “un esprit d’équité, de solidarité et de reconnaissance du travail réalisé.” Pour eux, la responsabilité doit aussi aller de paire avec un sens de l’innovation, qui se traduit par la modernisation de leurs outils de production.  

 

       Par ailleurs, ces mesures draconiennes amènent parfois à des prises de décisions extrêmes, notamment au sein des élevages. Benoît Couthier, éleveur bovin en Bourgogne, nous a par exemple raconté comment il a été obligé d’abattre la totalité de son troupeau suite à une suspicion de vache folle sur une seule bête (qui s’est révélée nulle). On voit que le principe de précaution pousse parfois à des actes lourds de conséquences. Monsieur Couthier n’est pas le seul éleveur à critiquer les mesures de protection instituées par les autorités européennes. Pour Claude Piron de Borlez, éleveur bovin à quelques km de Liège (Belgique), les réglementations sur les antibiotiques sont excessives et parfois contre-productives.

 

La précision des contrôles discutée

 

     La DGAL établit sa “programmation des contrôles” selon les exigences européennes. Paul Mennecier nous a expliqué que cette programmation s’établit sur la base d’une analyse des risques, et que les contrôles doivent s’effectuer avec des outils, des méthodologies qui sont préétablies et qui permettent d’avoir une démarche de tous les inspecteurs qui soit bien harmonisée. “Pour les entreprises, l’outil primordial c’est le Guide des bonnes pratiques d’hygiène, qui va expliquer pour un secteur d’activité donné quels sont les moyens qui permettent d’atteindre l’objectif de sécurité. Les services de contrôles vont regarder ce que l’entreprise a décidé de faire, si elle se réfère à un guide de bonnes pratiques, et bien on va vérifier qu’elle s’y réfère correctement.” Ces guides sont rédigés par un organisme professionnel à destination des entreprises et validé par les pouvoirs publics après un passage à l’ANSES. Il faut savoir que l’ANSES est  interrogée sur l’analyse des dangers effectuée par ce secteur professionnel, et éventuellement sur certaines mesures. Cela permet de garantir que ces mesures de sécurité permettent bien de maîtriser les risques associés aux produits. “Nous, les services de contrôle, on va définir un programme de visites dans les entreprises, une fréquence de contrôle qui est liée à l’analyse des risques et donc on a une méthodologie là-dessus, et dans l’entreprise on fait un tour complet de différents points de l’entreprise, sur les locaux, pour vérifier que les bonnes pratiques d’hygiène sont correctement mises en place, et pour celles qui ne le sont pas c’est une carence de l’entreprise. On vérifie ensuite le plan de maîtrise des risques sanitaires que l’entreprise a élaboré en se fondant sur le guide ou en inventant elle-même ses propres méthodes. (...) On regarde ce qui est mis en place et si ça donne bien confiance dans la sécurité des produits et dans la capacité de l’entreprise à assurer la sécurité.” Paul Mennecier admet cependant que cette fréquence “n’a pas lieu tous les jours”. Néanmoins, dans certains secteurs, tels que les abattoirs, des contrôles sont effectués en permanence. “Mais dans tout le reste des secteurs d’activité, l’inspection se fait de façon plus itinérante et sur la base d’une programmation fondée sur l’analyse des risques.” La DGAL établi également des plans de surveillance qui permettent de faire du prélèvement de produit de façon parfaitement aléatoire dans l’ensemble de l’entreprise, soit à la production, soit à la distribution en fonction de ce qu’ils cherchent à surveiller. “Et on fait parfois aussi des plans de contrôle qui sont non purement aléatoires mais bien orientés sur la base de certaines suspicions : on vérifie que tel ou tel danger ne se trouve pas autant nous pourrions le craindre.” A-t-il ajouté. Les contrôles officiels s’effectuent tout au long de la chaîne alimentaire : “en élevage ou exploitation agricole, dans chaque type d’établissement alimentaire jusqu’aux restaurants, boulangers, bouchers, traiteurs, cantines, restaurants d’entreprises… Toute la distribution. Au total on a 400 000 établissements qui font l’objet de contrôles dans le secteur alimentaire.

 

         Cependant, malgré un encadrement étroitement surveillé, la Cour des Comptes a dénoncé dans son rapport public annuel “l’insuffisance des contrôles sanitaires” et “l’absence de sanctions suffisantes” sur l’alimentation. Elle vise notamment les contrôles menés par le Ministère de l’Agriculture. Par exemple, sur la crise des lasagnes à la viande de cheval et les fraudes au sein de l’entreprise Spanghero, elle explique que sur les rapports qu’elle avait commandé, seuls quatre avaient été fournis, soit un manquant. D’autant que sur l’un des rapports, des anomalies avaient déjà été constatées dans la chaîne du froid, ainsi que l’absence de dates limites de consommation. Cependant, aucune sanction n’avait été mise en place, à part “un simple avertissement” envoyé à l’établissement. La Cour des Comptes dénonce une baisse des contrôles relevant des compétences de la DGAL de 17% entre 2009 et 2012 (source). La responsabilité, que ces contrôles permettent de garantir à l’égard du consommateur, se retrouve ainsi discutée.

 

Quand la réglementation sur les antibiotiques fait débat

 

     Un des problèmes soulevés par les associations de consommateurs est la présence d’antibiotiques, trop nombreux dans l’alimentation animale, pouvant avoir des conséquences négatives sur la santé de l’Homme. Malgré les précautions prises par les autorités sanitaires, la méfiance est toujours de mise parmi les associations de consommateurs. Articles et documentaires sortent régulièrement pour dénoncer les abus réalisés par les professionnels de l’agroalimentaire. Citons le problème de la salinomycine, que les producteurs de poulets industriels utilisent afin d’éliminer certaines bactéries : cette utilisation est autorisée dans une certaine mesure, mais les producteurs dépassent souvent les doses autorisées. Selon un vétérinaire nutritionniste interrogé par la chaîne D8 dans le documentaire En quête d’action présenté le 7 mai 2014, certains poulets ingèrent des antibiotiques un jour sur deux. La conséquence la plus problématique est que les bactéries deviennent résistantes à ces antibiotiques lorsqu’elles y sont trop souvent exposées. Ainsi, elles ne sont plus éliminées et se retrouvent dans les poulets vendus sur les étals bon marché, puis dans l’organisme humain qui ne peut alors plus se défendre contre certaines maladies.

 

     En mars 2014, l’association UFC-Que Choisir a lancé une grande enquête sur les bactéries contenues dans les volailles. Les résultats confirment les inquiétudes : pour 26 échantillons sur 100, l’association a retrouvé la bactérie E. Coli. Cette dernière, normalement sans danger pour l’homme, présente toutefois un risque de gastro-entérite, d’infections urinaires, voire de méningites. Le consommateur qui manipule de la viande crue peut donc se retrouver exposé à cette bactérie qu’il risque ensuite de disséminer dans son environnement proche. Chez les personnes fragiles, cela peut mener à des infections graves.

 

        Suite à la publication d’UFC-Que Choisir, la Coordination rurale (syndicat d’agriculteurs) a voulu rassurer les consommateurs en rétablissant “certaines vérités”. Elle rappelle que la France a déjà réalisé de nombreux progrès en matière d’utilisation des antibiotiques : “en cinq ans, la France a réduit de 40 % l'usage des antibiotiques dans les élevages”. Elle remarque également le manque de traçabilité de l’étude menée par UFC-Que Choisir : pour elle, il est inutile de demander un durcissement de la législation française concernant les antibiotiques si les poulets incriminés ne sont pas des poulets français, ce qu’elle affirme. On voit donc bien le déplacement de problématique selon les acteurs : les associations de consommateurs, qui nécessairement situent la responsabilité du côté des consommateurs, plaident pour plus de contrôles dans les élevages français ; tandis que la Coordination rurale, qui place davantage la responsabilité du côté des éleveurs, appelle à une plus grande transparence quant à la provenance des produits.

 

      Pourtant, Paul Mennecier nous a confié que la législation sur le médicament vétérinaire est très stricte. “L’usage des antibiotiques est parfaitement encadré, on en administre sur prescription vétérinaire. Il y a un certain temps à respecter avant l’utilisation des productions animales, que ce soit la viande, les oeufs, etc. Donc tout cela fait partie de la législation vétérinaire avec les conditions d’emploi qui sont précisées dans les autorisations de mise sur le marché de ces médicaments. Les éleveurs ensuite sont tenus d’avoir des registres des traitements qu’ils appliquent à leurs animaux, et ensuite, nous avons des contrôles, nous faisons des plans de surveillance et des plans de contrôle sur les antibiotiques, car cela fait partie des risques biologiques mais aussi des risques chimiques. Tout ça est intégré dans nos plans de surveillance et de contrôle, en plus de ce qui est mis en place en amont.

         Le Ministère de l’Agriculture a d’ailleurs pris les choses en main à travers la mise en place d’un plan baptisé  “éco antibio”, qui donne des objectifs précis de pour réduire l’utilisation des antibiotiques. Il s’agit d’un plan pluriannuel qui prévoit un usage prudent et raisonné des antibiotiques se traduisant par des objectifs qualitatifs et quantitatifs (réduire de 25% l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire d’ici 2017, avec un effort particulier de réduction des antibiotiques d’importance critique). Ce ne sont pas les premières mesures prises dans ce but. Cet article viendrait s’ajouter à des lois déjà existantes, qui, selon le rapporteur du projet de loi Germinal Peiro, ont déjà permis de réduire de 15% le niveau d’exposition de la population animale aux antibiotiques en France.

 

       Cependant, ce plan peine à rassurer les associations de consommateurs. Pour UFC Que Choisir, il va même à l’encontre de ses objectifs premiers. L’association affirme sur son site que le plan éco antibio “n‘est aucunement contraignant. Pire, le flou entretenu sur la manière de mesurer l’objectif de réduction laisse la possibilité de le calculer sur le volume d’antibiotique et non l’exposition des animaux. Résultat, si les éleveurs évoluent vers des antibiotiques plus puissants, ils respecteront l’objectif de réduction en volume, mais les bêtes seront, elles, tout autant exposées à l’antibiorésistance. La méfiance est d’autant plus grande en raison  du conflit d’intérêt des vétérinaires qui, tout à la fois, prescrivent des antibiotiques et, pour bon nombre, les vendent...  Voilà qui n’incite pas à la modération !

 

         Selon les deux éleveurs bovins que nous avons rencontrés, ainsi que le vétérinaire nutritionniste Pierre Frankinet, la présence excessive d’antibiotiques dans la nourriture des animaux d’élevage n’est pas une réalité dans la viande bovine, beaucoup moins industrialisée que la volaille ou le porc. Ce dernier nous explique que la présence d’antibiotiques dans la viande bovine est nulle. Par ailleurs, concernant les réglementations européennes visant à interdire une utilisation préventive des antibiotiques, il n’y voit qu’un effet de communication. En effet, il explique que si les éleveurs ont arrêté de fait d’utiliser préventivement les antibiotiques, ils se retrouvent à devoir en utiliser de manière curative, lorsque leurs bêtes tombent malades : et pour lui, la quantité d’antibiotiques utilisée n’a pas varié.

 

La responsabilité comme approche intégrée de la santé animale ?

 

         La responsabilité pourrait être de concevoir toute la chaîne alimentaire comme des éléments imbriqués et essayer d’opter pour une démarche intégrée, afin de ne pas séparer les objets techniques mais bien de considérer que la chaîne alimentaire est un tout dans lequel interviennent différents acteurs et différents intérêts. C’est cette approche intégrée que tente d’avoir l’EFSA. Par exemple, elle ne  traite pas uniquement la santé animale dans le sens strict des “maladies animales” mais également en terme de  relations cruciales entre bien-être animal, santé animale et sécurité des denrées alimentaires. Ainsi, si l’EFSA a un mandat principalement tourné vers la sécurité alimentaire, cela ne l'empêche pas d’intervenir à toutes les étapes de la chaîne de production de la viande et d’établir des relations entre sélection génétique, première étape de cette production, et sécurité alimentaire par exemple.

 

CARTOGRAPHIE DES CONTROVERSES • ECOLE DE LA COMMUNICATION • SCIENCES PO • 2014